La fin du vieux monde
Le metteur en scène de mariages (2006) de Marco Bellocchio avec Sergio Castellito, Sami Frey
« En Italie, ce sont les morts qui commandent. » C’est le constat amer que semble tirer Bellocchio, dans Le metteur en scène de mariages, de sa situation de cinéaste aujourd’hui. Après avoir montré de manière critique et sarcastique le retour de la toute-puissance de l’Eglise dans son pays (où toute famille se doit d’avoir un saint en son sein : Cf. Le sourire de ma mère) et être revenu sur le terrorisme des années 70 (l’éblouissant Buongiorno, notte) ; le cinéaste poursuit de poser son regard singulier sur ce qu’est l’Italie d’aujourd’hui et la manière dont elle liquide un passé pourtant assez proche.
Ce qui réjouit ici, c’est la manière dont le cinéaste parvient à parler lucidement de son pays sans pour autant recourir aux artifices de l’idéologie, de la psychologie ou de la sociologie mais en inventant une forme métaphorique et « poétique » (je sais, le mot est galvaudé mais il convient ici parfaitement) totalement cinématographique. Franco Elica, le cinéaste incarné génialement par Sergio Castellito, l’énonce clairement : le cinéma, c’est d’abord du montage. Il n’est donc pas question pour Bellocchio de tourner un film didactique et d’asservir sa mise en scène à un discours qu’elle se contenterait d’illustrer mais de la laisser se déployer en une forme totalement inventive (nous allons y revenir) qui corrobore ce que j’écrivais à propos de Rohmer et des « vieux cinéastes » : ils ne doivent désormais plus rien à personne et ils parviennent à tourner des films dont la liberté m’émerveille totalement.
Elica est un cinéaste de renom qui désire porter à l’écran les fiancés de Manzoni. Il fait passer un casting mais voilà que les choses se compliquent : une étrange et belle femme veut le voir mais se cache bizarrement quand débarque la police, le réalisateur est lui-même inquiété par les carabiniers et semble suspect dans une étrange affaire… Fin du prologue.
Nous retrouvons cette fois Elica en Sicile où il rencontre un « metteur en scène de mariages » qui lui demande des conseils. Par un concours de circonstances dont je ne vous dirai rien (je n’aime pas résumer les films !), notre maestro se voit confier par un riche prince désargenté (Sami Frey) la mise en scène du mariage de la princesse dont il tombera, forcément, amoureux…
La première chose qui frappe dans le metteur en scène de mariages, c’est l’aisance avec laquelle Bellocchio change de registre. Le film peut être vu comme une comédie baroque où le Réel se voit court-circuité par les visions du cinéaste. La première « mise en scène de mariage » sur la plage (qui se termine par un déshabillage intégral de la mariée !) est un régal de bouffonnerie qui évoque certains grands moments du cinéma de Fellini.
A côté de cela, le film flirte également plus d’une fois avec le fantastique. La longue séquence du casting qui se termine soudain par l’arrivée impromptue des carabiniers et, de façon totalement irréaliste, dans une pénombre inquiétante (le travail sur le cadre et la lumière est assez somptueux) fait basculer le film dans une autre dimension et l’on aura plusieurs fois l’occasion d’apprécier ces décalages irréels (l’arrivée de Franco Elica dans la somptueuse villa du Prince, précédé par deux chiens de garde, est une pure merveille de mise en scène).
C’est aussi un conte de fée où l’amour et le merveilleux font bon ménage, où les princesses sont enfermées dans des couvents en attendant que l’amant irrégulier vienne la délivrer.
Enfin (je dis enfin mais il y a certainement d’autres dimensions dans ce film, comme celles liées à la culture classique et à cette fameuse adaptation des Fiancés. Je ne connais pas le livre mais je pense qu’il y a une mise en abîme du texte.), Le metteur en scène de mariages est également une puissante réflexion sur l’art cinématographique tel qu’on le pratique aujourd’hui en Italie.
Sur une plage, Elica croise un de ses confrères que toute la presse a donné pour mort. C’est lui qui lui énonce l’adage que j’ai reproduit en début de note sur ces morts qui commandent. Ce cinéaste « mort vivant » et Elica sont les derniers témoins d’un vieux monde en train de disparaître. Non sans une certaine amertume, Bellocchio montre qu’il n’y a désormais plus de place pour des gens comme lui dans un cinéma italien où l’on ne s’intéresse à cet Art que dans la mesure où les créateurs sont morts. Et c’est sans doute lui-même qu’il met en scène dans ce personnage de « maestro » réduit à mettre en scène des mariages. Tout ce dont il a été témoin (la culture « classique »), tout ce qu’il l’a ému (le cinéma comme Art) n’existent désormais plus et c’est avec une certaine mélancolie que le cinéaste montre la manière dont un maillon de la chaîne s’est brisé, qu’il n’y a plus de transmission possible.
Mais je le répète, le film est surtout joyeux, assez débridé, volontiers baroque et, pour tout dire, c’est un petit régal…