Les enfants de Mothra
Mothra contre Godzilla (1964) de Inoshiro Honda
Suite à ma dernière note, j’ai reçu un flot de lettres indignées me reprochant de ne plus m’attarder sur les séries Z ringardissimes et de les délaisser au profit d’auteurs inconnus (je rappelle néanmoins que d’ici six mois, Luc Moullet sera le cinéaste le plus connu de France !). Je vous cite par exemple celle de Marguerite D. d’Houtretombe (Loiret) : « Vous avez parlé de navets autrefois. C’était avant. Avant aujourd’hui où vous ne parlez plus de navets. Vous n’en parlerez plus jamais. Jamais donc vous ne parlerez de mes films. Forcément. »
Contrairement à certains personnages dits importants, je sais tenir compte du mécontentement général et je me suis donc rué sur ma bibliothèque afin de dégoter un quelconque DVD acheté à deux euros et je suis tombé sur ce film signé Honda, scandaleusement présenté ici dans sa seule version française (assez abominable).
Je me rends compte que je n’ai jamais parlé jusqu’à présent de ce docteur ès monstres nippons caoutchouteux. Quelques petits détails historiques s’imposent donc (les cancres, vous pouvez faire la sieste et sauter quelques lignes !). Aux Etats-Unis, l’anticommunisme à l’œuvre dans les années 50 et la peur du « rouge » donnèrent naissance à tout un courant de films de science-fiction hantés par ce spectre de l’envahisseur. Au Japon, c’est le traumatisme nucléaire qui fut à l’origine de la majeure partie des œuvres de SF, dont celles de l’infatigable Honda. En 1954 sort Godzilla et ce monstre aux allures de dinosaure va devenir l’un des mythes les plus féconds du cinéma fantastique japonais.
Autant vous le dire tout de suite, je considère le film originel comme un monument d’ennui, plombé par des tunnels interminables de discussions qu’égayent de temps en temps le monstre en détruisant deux trois maquettes. C’est seulement dans les films suivants, lorsque la couleur arrive et que les monstres se multiplient à l’écran que le cinéphile déviant peut prendre un petit plaisir pervers aux films d’Honda (j’aime particulièrement Les envahisseurs attaquent où le bestiaire est presque au complet !)
Dans Mothra contre Godzilla, la dimension loufoque et enfantine n’est pas encore omniprésente mais on offre à Godzilla un adversaire de taille en la personne de Mothra, sorte de papillon géant à tête de mouche. Je vous passe les détails d’un scénario relativement stupide (des financiers véreux tentent de rentabiliser l’œuf de Mothra qu’ils sont parvenus à dérober tandis que Godzilla renaît de ses cendres et se remet à tout détruire) puisque l’intérêt du cinéma de Honda réside dans ses épisodes spectaculaires où le cinéaste se conduit comme un enfant fasciné par ses jouets (voir ces maquettes qu’il détruit avec une euphorie communicative !). Outre les monstres qui constituent le clou du spectacle (le combat final entre Godzilla et les deux larves de Mothra), ce sont des jumelles lilliputiennes (les gardiennes de l’œuf) qui se taillent la part du lion dans Mothra contre Godzilla : elles sont croquignolettes et donnent au film un aspect féerique assez plaisant.
Bien sûr, Honda dénonce une fois de plus la menace nucléaire et la manière dont l’arme atomique risque de changer le paradis terrestre en géhenne planétaire mais ce n’est pas ce discours qui nous amuse chez lui. Non, le plus plaisant (et c’est d’ailleurs ce qui permet de supporter les faiblesses narratives de ses films qui sont souvent ennuyeux dès qu’on ne voit plus de monstres !), c’est de projeter ses fantasmes dans les situations extrêmes qu’il filme. Ainsi, il faut peu d’imagination pour faire de Godzilla le symbole même des gros lourds qui détruisent tout sur leur passage (au hasard, les présidents qui font du jogging, le MEDEF, Fillon et Hortefeux…) alors que Mothra serait la brave libellule (mettons les cheminots, les étudiants, les fonctionnaires…) qui résiste à la conspiration des beaufs.
« Comment les remercier ? » demande à la fin un personnage. « En construisant un monde plus juste » réplique sentencieusement un autre.
Français, vous voyez ce qu’il reste à faire !
Nous sommes tous les enfants de Mothra !