La montagne sacrée (1973) de et avec Alexandro Jodorowsky

 

El Topo était déjà un film bien allumé mais c’est peu dire que La montagne sacrée est une œuvre qui ne ressemble à rien de déjà-vu. J’ignore si Jodorowsky l’a tournée à jeun, toujours est-il que la découvrir relève plus de l’expérience d’un trip halluciné que d’une séance de cinéma classique. 

Ca commence fort avec un vagabond christique que l’on retrouve mort mais qui ressuscite par la grâce d’un homme-tronc.  Le voilà pérégrinant dans une ville où il croise des processions de pèlerins transportant des animaux crucifiés et de violentes répressions policières (métaphore de la dictature de Pinochet instaurée au Chili- pays natif de Jodorowsky- l’année du tournage du film ?). Notre homme parvient à s’élever au sommet d’une immense tour et il y rencontre un alchimiste. Celui-ci lui présente les chefs des autres planètes et demande à tout ce beau linge de se regrouper et de conquérir la « montagne sacrée » afin de découvrir le secret de l’immortalité…

Comme dans El Topo, Jodorowsky construit ici une fable ésotérique où il use et abuse des symboles (bibliques, magiques, chamaniques…) au point de faire dangereusement pencher le « discours » du film vers une supercherie à la Bernard Werber. Si les théories sont toujours aussi fumeuses et prêtent largement à sourire (le cinéaste dissimulant mal la pauvreté de sa « philosophie »  pré New-Age » derrière la fumée de son occultisme), son inspiration visuelle est toujours aussi impressionnante.

Difficile de traduire par des mots la richesse visuelle et plastique de cet univers totalement baroque. Et comme dans El Topo, Jodorowsky ne se contente pas de faire se succéder de beaux « tableaux » : il travaille la matière cinématographique. Les plans sont richement composés (le cinéaste joue beaucoup sur la symétrie), la valeur du cadre est toujours variée et Jodo sait passer d’un plan où le héros évolue dans un décor totalement abstrait et sans profondeur à de magnifiques plans larges où la profondeur de champ joue un rôle primordial. La bande-son est également fort riche (pas une parole n’est prononcée dans la première demi-heure du film et c’est un magma sonore qui le rythme dans un premier temps) et le cinéaste à de belles trouvailles de montage qui lui permette de jouer la métonymie (même si elles sont parfois d’un goût douteux, à l’image de ce plan d’accouplement bovin que Jodorowsky raccorde sur un gros plan de visage féminin aspergé d’une pâte blanche liquide et visqueuse).

La montagne sacrée est un film très pictural qui ne cache jamais sa dette envers le surréalisme (on aperçoit des toiles de Magritte, on se souvient de Dali…) et regorge de plans stupéfiants (ce vieillard qui enlève son œil de verre pour l’offrir à une petite fille, ces plaies béantes d’où s’échappent des oiseaux, les armes remises au goût des jeunes comme ce fusil en forme de guitare…)

Derrière ce maelström d’images baroques pointe une délicieuse ironie et un certain humour noir lorsque le cinéaste montre ces chefs de planètes qui fanatisent les enfants par le biais de la BD et de la pub pour les transformer en guerriers sanguinaires où lorsqu’il entreprend de refaire jouer des combats humains par des crapauds. Jodorowsky raille les totalitarismes (certaines scènes d’exécutions tournées dans les rues font froid dans le dos), le militarisme et la monétarisation de la religion (moment assez drôle où notre vagabond est immobilisé dans une position de crucifié et on l’on reproduit son image à l’infini avec des statuts en plâtre… où en pâte puisqu’il finit par manger l’un de ses clones : ceci est mon corps…) 

Tout cela est foisonnant et assez grisant même si on finit par friser l’overdose. Même si ce délire reste cinématographique, le spectateur manque parfois d’air et l’on finit par étouffer devant le caractère un peu mécanique de la construction du film (un chef de planète = une séquence entière consacrée à ses activités). Quant à la fin où l’alchimiste recommande à ses ouailles de se libérer de toutes leurs préoccupations matérielles pour aller trouver la quiétude et la sagesse au sommet de la montagne ; elle est un peu niaise et un brin longuette.

Mais ces quelques réserves ne doivent pas vous priver de vivre une expérience qui s’avèrera, croyez-moi, unique…

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