Promets-moi (2007) d’Emir Kusturica

 

Je sens déjà venir les critiques qui ne manqueront pas de venir accabler ce film. Je les vois venir avec leurs gros sabots. Et le pire, c’est que je ne suis pas loin de les entendre (dans le sens « comprendre, saisir par l’entendement »).

Oui, Kusturica fait toujours la même chose (« Les imbéciles éprouvent le besoin de se renouveler. » (Louis Scutenaire)) ! Oui, son univers bariolé et exubérant à tendance à virer ici au folklore ! Oui, son film est un vacarme permanent et les individus allergiques aux fanfares tziganes (pauvre d’eux !) n’y couperont pas ! Oui, la fantaisie débridée du film est parfois répétitive et les gags ne sont pas toujours de la plus extrême légèreté (mais qu’ils horrifient les pisse-froid n’est pas sans nous réjouir !) !

N’empêche que vous aurez beau avancer tous les arguments au monde, je trouve qu’il y a chez Kusturica, même dans un film mineur comme Promets-moi (je reconnais volontiers que ce n’est pas l’un de ses meilleurs films), plus de cinéma que dans les œuvres complètes de Christophe Honoré ou de Bertrand Tavernier !

Et puis, pour me mettre l’eau à la bouche, j’ai survolé la critique des Inrockuptibles où l’auteur écrit que le dernier opus de Kusturica est « réactionnaire ». Avouez qu’un film qui ne va pas dans le sens du monde tel que le souhaitent les bobos des Inrocks, qui « réagit contre » (c’est bien la définition de « réactionnaire », non ?) cette marche absurde ne peut être que réussi !

Nous nous réjouirons donc de voir Kusturica égratigner aux passages les grotesques normes européennes qui imposent des cartes bleues et vertes à la moindre vache et se permettre quelques sarcasmes bien sentis contre l’OTAN et contre la « démocratie » totalitaire américaine (« c’est au bulldozer que les américains détruiront tout ce qui s’oppose à la démocratie ») qui ravage le monde « avec miséricorde » et au nom du Bien suprême.

Je pense que la pigiste des Inrocks trouve le film « réac » sans doute aussi parce que le cinéaste oppose d’un côté l’innocence, la joie de vivre et l’espièglerie campagnardes aux pièges de la grande ville et sa corruption. Certes, c’est assez schématique mais c’était aussi le thème principal de L’aurore de Murnau, ma chérie !

 

Un grand-père exubérant, isolé dans sa campagne, envoie son petit-fils en ville pour y vendre une vache. Celui-ci devra lui promettre, avec l’argent de la vente, de lui ramener une icône de Saint-Nicolas, de s’acheter un souvenir et de ramener une femme… Vaste programme qui va mal tourner lorsque l’adolescent tombe sur d’odieux mafieux décidés à mettre la main sur la fille qu’il a choisie pour la prostituer…

Ce court résumé ne relève rien de la teneur de cette farce exubérante où Kusturica poursuit son chemin dans la veine farfelue et disjonctée qu’il avait mise en branle avec Chat noir, chat blanc et La vie est un miracle. Le film avance sous une tension électrique permanente, à la limite parfois de la surchauffe. Ca n’arrête pas : machines folles, homme canon propulsé dans les airs, trappes qui s’ouvrent sous d’improbables automobiles (le grand-père empêche à tout prix, et grâce à ses inventions, un inspecteur de l’éducation nationale citadin d’approcher de la plantureuse institutrice du village) et galerie de trognes totalement invraisemblables. Ca va de ce mafieux zoophile bien décidé à bâtir un World Trade Center en Serbie, quitte à faire table rase du patrimoine (en bon élève de la politique américaine, « capable de raser les pyramides si ça gêne les pipelines » !) aux bottiers boy-scouts skinheads  qui deviennent les frères de sang de notre jeune héros.

La sauce n’est pas toujours légère mais qu’est-ce que c’est bon ! Des plans surchargés offrant une rafale d’idées poétiques (le merveilleux bain de l’institutrice) ou burlesques. On sent que derrière cette grande farandole baroque, le cinéaste décrit un état du monde pitoyable où triomphent les mafias, toujours là pour profiter du torrent de boue de l’ultralibéralisme et s’engouffrer derrière.

Mais contrairement à ce que dit un personnage à la fin du film, les convois funèbres n’ont pas la priorité devant les fanfares des mariages. Kusturica (c’est le cas depuis le début de son œuvre) préfère toujours au réalisme la fantaisie, à la complainte mortifère le grand saut dans l’imaginaire le plus débridé.

Promets-moi a beau être un film parfois lourd, un peu longuet et répétitif à certains moments, c’est aussi un film généreux et vivant jusqu’à l’exubérance.

Pas question de faire la fine bouche, donc !

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