Il était une fois la Corée
La pègre (2004) d’Im Kwon-Taek
Patriarche prolixe du cinéma coréen (il doit approcher la bonne centaine de films), Im Kwon-Taek fut l’un des rares cinéastes de ce pays a bénéficier de sorties régulières en France. Pourtant, le maître n’a rien de ces VRP concoctant des dépliants touristiques et folkloriques pour les festivals internationaux (nous songeons à son compatriote Kim Ki-Duk). Toute son œuvre reste profondément ancrée dans l’histoire et la culture de son pays, à tel point que certaines données doivent passer au-dessus de la tête du spectateur lambda qui, comme moi, ne connaît de l’histoire politique de la Corée que la date de 1953 (souvenez-vous de la guerre froide au programme d’histoire de terminale) et ce qu’il a pu voir de ce fameux conflit dans MASH de Robert Altman ! C’est dire !
Pour moi, l’œuvre toujours stimulante d’Im Kwon-Taek peut se diviser en deux catégories : d’un côté, les films qui transcendent leurs caractères culturels locaux pour aboutir à une vision cinématographique universelle (comme dans le sublime Le chant de la fidèle Chunhyang ou le très réussi Ivre de femmes et de peinture) ; de l’autre, les films qui restent prisonniers de ces références culturelles et demeurent, de fait, assez hermétiques. Je suis prêt à trouver toutes les qualités que vous voudrez à la chanteuse de Pansori ou à Plus haut, encore plus haut (découvert il y a fort longtemps sur Arte) mais ces films ne suscitent chez moi que quelques bâillements polis et une admiration un peu froide.
Disons-le tout net : la pègre s’inscrit plutôt dans cette deuxième catégorie ; Im choisissant de raconter tout un pan de l’histoire de la Corée (des années 50 au début des années 70) en inscrivant au-devant de sa fresque historique l’ascension individuelle d’un petit malfrat.
« Fresque » est d’ailleurs un bien grand mot pour un film qui avance d’emblée une économie assez modeste (amis du « grand spectacle », passez votre chemin). D’après ce que j’ai pu en entendre dire, il semblerait qu’il ait été d’abord prévu pour durer trois heures avant d’être copieusement charcuté par ses producteurs et renié par son auteur.
Mais, d’une certaine manière, c’est son caractère bancal qui fait l’intérêt de La pègre. Le montage auquel nous avons droit privilégie effectivement la pure « action » et élide tout « temps mort ». Du coup le film, qui ne conserve que les informations faisant progresser le récit, avance à grands coups d’ellipses sauvages et finit par ressembler à une sorte de série B bâtarde (peut-on, en effet, parler d’une série B épique ?).
Une scène pourrait servir d’emblème à la pègre : le personnage principal du film, petite frappe en mal de mauvais coups, décide un jour de se lancer dans le cinéma. Il produit un film mais constate une fois que son actrice n’est pas à l’heure sur le plateau. On lui annonce qu’elle finit de terminer une scène dans une autre production. Il se rend chez son concurrent et l’on constate qu’il pourrait s’agir d’Im Kwon-Taek lui-même (il tourne un film en costumes luxueux qui rappellent ceux de Chunhyang). Et lorsque le mafieux le dérouille, on se dit que La pègre, c’est un peu ça : un petit film mal élevé qui vient marcher sur les plates-bandes d’un cinéma dont Im était le fer de lance pour le piétiner.
Ce geste rageur a quelque chose de touchant et m’a semblé un bon moyen de me raccrocher à un élément concret afin ne pas sombrer, noyé, dans ce flot d’informations socio-historiques que donne le film.
Plus que son message (le pouvoir vu comme un enchevêtrement confus de corruptions assez identiques à celles pratiquées dans le milieu de la pègre), l’œuvre d’Im Kwon-Taek séduit par son économie modeste et sa rage d’avancer coûte que coûte.
Comme le cinéaste n’a rien perdu de son talent de metteur en scène (il fait preuve ici d’une étonnante sécheresse pour traiter des scènes de bagarres en trois, quatre plans), on peut se risquer sans trop d’hésitations à jeter un œil sur ce petit opus mineur…
PS : Encore un peu de vanité mais si je signale que j'ai gagné deux places ici, c'est uniquement parce que c'est à vous que je le dois. Alors merci...