L'art d'aimer (2011) de et avec Emmanuel Mouret avec Frédérique Bel, François Cluzet, Julie Depardieu, Judith Godrèche, Ariane Ascaride, Gaspard Ulliel, Stanislas Merhar


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Au risque de me répéter, j'ai toujours apprécié chez Emmanuel Mouret cette capacité qu'il a d'inverser la fameuse définition du rire énoncée autrefois par Bergson. Si pour le philosophe, le rire est du mécanique plaqué sur du vivant, l'art de la comédie selon le cinéaste est de parvenir à rendre vivant ce que le genre peut avoir de mécanique. Et quoi de plus « mécanique » que la structure du film à sketchs qu'il adopte pour l'art d'aimer ? Les thèmes chers au cinéaste (l'obscur objet du désir, les aléas du sentiment amoureux, la fidélité, le sexe...) se trouvent ici éclatés sous la forme de petites vignettes plus ou moins longues (l'épisode avec le musicien incarné par Stanislas Merhar est quasiment un haïku tandis que le conte à la Boccace avec Julie Depardieu et Judith Godrèche constitue un véritable court-métrage dans le film) qui finissent par dessiner un ensemble harmonieux sans pour autant être verrouillé.

Seule une historiette revient de manière régulière, à la manière d'un fil rouge : celle de François Cluzet (très drôle), célibataire en manque de rencontres et de sa ravissante voisine (l'excellente Frédérique Bel) qui débarque à l'improviste chez lui et qui ne cesse de se dérober aux désirs qu'elle a pourtant suscités.

 

Si le titre du film renvoie à Ovide, c'est davantage à Marivaux que l'on songe en voyant ce film où Mouret tricote une nouvelle fois quelques variations autour de ce sentiment si mystérieux qu'est l'amour. Chaque sketch pourrait représenter les mailles d'un ouvrage varié dans les tons : un point à l'endroit (registre de la comédie), un point à l'envers (registre du mélodrame discret, comme dans le joli récit avec Ariane Ascaride). On retrouve par ailleurs des situations qui évoquent les précédents films du cinéaste : lorsqu'une amie de Julie Depardieu milite pour une sorte de communisme sexuel (« on paye bien des impôts pour aider les plus pauvres, pourquoi ne pas aider ceux qui sont privés d'amour ? ») et l'invite à coucher avec son petit ami, on songe à Fais-moi plaisir ! ;alors que le désir qu'éprouve soudainement Boris pour sa meilleure amie Amélie (Judith Godrèche) rappelle un peu la situation de départ d'Un baiser s'il vous plaît.

 

Chez Mouret, sentiments et sexe ne font qu'un mais il traite son sujet avec beaucoup d'élégance et une manière assez fine de « décentrer » les choses. Sa mise en scène parvient à capter ce qui se passe entre un homme et une femme qui tombent amoureux en se concentrant davantage sur les écarts du désir, ses volutes mystérieuses qui le font retomber parfois sur ses pieds (le sketch avec Ariane Ascaride, envahie par des bouffées de désir pour d'autres hommes, mais qui finira par ne coucher qu'avec son mari parce que celui lui a laissé la liberté d'aller ailleurs à condition qu'elle ne le quitte pas, afin d'être présent si un jour elle exprime le besoin de se blottir dans ses bras).

Rien n'est définitif dans L'art d'aimer : la liberté en amour peut apparaître comme une bouffée d'air frais mais elle ne constitue pas non plus une panacée. Pas plus que la monotonie du couple « installé » (voir celui constitué par Amélie et Ludovic), la liberté sexuelle ne semble une solution. Parce que désirs, plaisirs et sentiments sont des notes pas toujours faciles à accorder mais qu'il est aussi difficile de totalement dissocier. J'emploie le mot « note » à dessein dans la mesure où L'art d'aimer est une fois de plus une variation au sens musical du terme autour du sentiment amoureux. Et ça n'est sans doute pas pour rien que Mouret a souvent recours à la musique classique (Brahms, Chopin, Mozart...).

Ce côté musical (c'est une sorte de « fugue ») donne au film un côté à la fois très léger et lui permet d'éviter le côté trop « bouclé » de la structure « film à sketchs ». Le cinéaste s'amuse, de couples en couples, de désirs en frustrations, à naviguer sur un fleuve sinueux de sentiments contradictoires. Certaines histoires restent « ouvertes » tandis que d'autres se concluent (plus ou moins bien). C'est le jeu de l'amour et du hasard...

 

Bien entendu, ce côté un peu « dispersé » du film fait qu'il apparaît parfois comme un peu inégal et que toutes les scènes ne sont pas du même niveau. Ce n'est donc pas un grand film de Mouret (comme Changement d'adresse ou Fais-moi plaisir!) mais au cœur même de ce grand champ de bataille dévasté qu'est la comédie « à la française », l'art d'aimer se présente à nous comme un îlot délicieux et rafraîchissant...

 

 

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