Masques

L'important c'est d'aimer (1975) d'Andrzej Zulawski avec Romy Schneider, Jacques Dutronc, Fabio Testi, Klaus Kinski, Michel Robin, Claude Dauphin

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Une scène dans un café. Nadine (Romy Schneider) retrouve son mari Jacques (Dutronc) qui veut lui parler de leur situation. Depuis que la belle comédienne a croisé la route de ce photographe (Fabio Testi), Jacques sent qu'elle lui échappe, que leur amour est en train de se briser. Il estime même, malgré ses dénégations, qu'elle n'a plus que du mépris pour lui. A ce moment, Zulawski rend un petit hommage à Godard : une coupe sèche et un renversement d'axe à 180°, un plan qui débute par les mots qui concluaient le précédent, accentuant l'effet de saute. Ce clin d’œil n'est, à mon avis, pas fortuit dans la mesure où L'Important c'est d'aimer pourrait bien être aux années 70 ce que Le Mépris fut aux années 60 : même trio tragique, des personnages qui évoluent dans le milieu du cinéma et un thème musical similaire signé Georges Delerue qui fait la transition.

Mais alors que Le Mépris était une véritable tragédie antique se déroulant sous les yeux indifférents des dieux, L'Important c'est d'aimer est un drame shakespearien, plein de bruit et de fureur. Zulawski est un cinéaste qui aime naviguer entre le burlesque, le difforme et le psychodrame. Il s'empare d'un scénario très psychologique de Christopher Frank, lui-même écrivain (La Nuit américaine), scénariste (Une étrange affaire, Eaux profondes...) et cinéaste (Femmes de personne) pour le faire voler en éclats sous la poussée d'un style expressionniste et baroque.

C'est par l'artifice le plus outré qu'il parvient à atteindre la plus intense et la plus juste des émotions. Ses personnages portent tous des masques : Dutronc, funambulesque à souhait et absolument génial, se déguise en clown pour dissimuler le désespoir qui le gagne de plus en plus lorsqu'il comprend qu'il est en train de perdre sa femme. Mais aussi Romy Schneider et son rimmel qui fout le camp dans ce fabuleux gros plan qui conclue la première séquence où elle offre un visage complètement nu et bouleversant. Jamais l'actrice n'aura été autant à fleur de peau, aussi belle et écorchée, aussi malmenée et désespérée...

Autour de ce trio amoureux s'agite une humanité grimaçante, maquillée outrageusement qui permet à Zulawski de rendre compte du chaos du monde. Alors que son goût pour l'excessif le perdra parfois, notamment dans des films comme La Femme publique ou L'Amour braque où il ne restera plus que la gesticulation et plus rien de la vérité des sentiments ; il parvient dans L'Important c'est d'aimer à conserver un parfait équilibre entre une théâtralité exacerbée, à la limite de l'hystérie, et une vérité des sentiments totalement déchirante, que souligne parfaitement la magnifique musique de Delerue.

Pour revenir à la comparaison avec Le Mépris, le film de Godard cherchait à renouer avec une sorte d'ordonnancement classique : le grand cinéma (Lang), l'Italie, les dieux antiques, la splendeur du Technicolor. Tout cela était perturbé par la vulgarité de l'argent et la vénalité du producteur peu scrupuleux. Douze ans plus tard, le monde du cinéma dans lequel évoluent les personnages de L'Important c'est d'aimer a bien changé : le nabab a laissé place aux mafieux, le spectacle de naïades dénudées est devenu carrément porno... Là encore, Zulawski joue avec les contrastes et parvient à extraire des pépites de la fange. A arracher à la laideur du monde environnant un semblant de beauté, une émotion authentique, des sentiments sincères qui lui permettront de faire susurrer (à peine) à ses personnages les mots les plus galvaudés du monde à la toute fin : « je t'aime ».

Toujours sur la corde raide, le cinéaste tient constamment son équilibre et signe son plus beau film (avec Possession), un chef-d’œuvre bouleversant qui n'a pas pris une ride...

 

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