Engrenages
Le Cercle vicieux (1960) de Max Pécas avec Claude Titre, Claude Farell, Louisa Colpeyn
J’ai longtemps tenu Max Pécas pour le parangon de la nullité cinématographique. Après m’être infligé toutes ses comédies de plage des années 80 et avoir aperçu quelques nanars érotiques sur M6, mon verdict était rendu. Pourtant, je commence à me dire que ce jugement était sans doute trop lapidaire. Certes, je ne me risquerais pas à réévaluer Belles, blondes et bronzées ou Les Branchés à Saint-Tropez mais pour avoir revu certains de ses films « roses », notamment Je suis une nymphomane, j’ai pu constater qu’ils n’étaient pas aussi nuls que ça. Et puis il y a cette mystérieuse première partie de l’œuvre, celle des années 60 que je ne connais pas du tout et qui mérite sans doute le détour, notamment parce que Jean-Patrick Manchette a participé en tant que scénariste à certains de ces polars sexy.
Le Cercle vicieux est le premier long-métrage du réalisateur après une douzaine d’années d’assistanat. Il narre les aventures d’un peintre séducteur au possible (Claude Titre dont le « titre » de gloire sera ensuite d’interpréter Bob Morane à la télévision) qui abandonne sa promise Manuella pour épouser la richissime comtesse Frieda Wromberg (Louisa Colpeyn). Mais ce mariage de raison tourne vite à l’aigre et Sacha décide de s’enfuir avec Manuella qu’il n’a jamais oubliée. Malheureusement, les amants ont un accident de voiture : la jeune femme est tuée sur le coup et carbonisée, avec au doigt l’alliance de Frieda. Revenu à la maison et devant subir les reproches de son épouse, Sacha étrangle la comtesse et laisse la police croire que c’est elle qui est morte dans l’accident…
Avouons-le d’emblée, le film n’est pas inoubliable : l’interprétation laisse un peu à désirer, la mise en scène est assez raide, la narration parfois un peu pataude et les raccords disgracieux ne sont pas rares. Pourtant, Le Cercle vicieux reste un film curieux : bancal certes, mais pas totalement inintéressant dans la mesure où il opère à un curieux mélange d’influences.
Le film débute dans un univers à la Sagan, avec de beaux jeunes gens riches et oisifs dont la principale préoccupation est le marivaudage à tout crin. Les personnages sont d’ailleurs assez antipathiques, en particulier ce Sacha qui tombe toutes les femmes et les traite comme du linge sale. Le film bascule ensuite du côté du film noir et de l’engrenage criminel. Sacha pense avoir commis le crime parfait mais les choses ne vont, bien entendu, pas se passer comme prévu.
Le film est également un mélange curieux de cinéma populaire des années 50, avec des dialogues truffés de bons mots du style :
« -Tu parles merveilleusement en homme…
-Depuis le temps que je les pratique ! ». Une de ces répliques a d’ailleurs dû influencer cette épluchure de Séguéla puisque Sacha prétend solennellement que « si à 40 ans, tu prends toujours le métro, tu as raté ta vie. » !
Mais c’est également un film où l’on sent une certaine influence de la « nouvelle vague », avec quelques jolies scènes en extérieur qui donnent à l’œuvre un certain cachet d’authenticité (y compris lorsque les badauds regardent la caméra). Le temps d’un passage, la caméra s’invite même dans un club du côté de Saint-Germain des prés. Entre le côté très stéréotypé de l’intrigue et ce léger vent de liberté, le film trace sa route et intrigue aussi par son immoralité. Un carton nous prévient d’emblée qu’il fut interdit, à l’époque, aux moins de 18 ans (ce qui était le lot de beaucoup de films) alors que de chastes fondus au noir interrompent constamment les passages les plus enflammés. Ce n’est donc pas la nudité (totalement absente) mais sans doute cette manière très libre de parler des choses de l’amour qui a dû freiner les censeurs.
Le Cercle vicieux est donc à ranger aux rayons des antiquités curieuses : pas vraiment une réussite mais le premier film d’un artisan consciencieux qui ne mérite aucun mépris. Pour la petite histoire, Modiano évoque ce film dans certains de ses romans (notamment Un pedigree) puisque l’actrice qui joue la comtesse (Louisa Colpeyn) est tout simplement sa mère.
Ne serait-ce que pour cette raison, l’œuvrette mérite le coup d’œil…