Sins of the Fleshapoids (1965), The Secret of Wendel Samson (1966) et The Craven Sluck (1967) de Mike Kuchar. (Editions Re : Voir)

Underground queer

Comme il est courant de distinguer en peinture l’abstraction géométrique (celle de Mondrian, par exemple) et l’abstraction lyrique (Pollock), nous pourrions, en schématisant à l’extrême, diviser de la même manière les films relevant du cinéma expérimental en deux catégories. D’un côté, les films « formalistes », s’intéressant d’abord au médium en tant que tel, aux rythmes, aux couleurs, aux formes géométriques abstraites (de Michael Snow à Paul Sharits) ; de l’autre, les films axés autour du corps et de ses états. Mike Kuchar se situe évidemment dans la deuxième catégorie, assez proche de cinéastes comme Kenneth Anger (Invocation of my Demon Brother) ou Jack Smith (Flaming Creatures) avec lesquels il partage une certaine exubérance rococo et une forte inclination pour l’imagerie homo-érotique.

Le cinéma de Mike Kuchar se distingue néanmoins des deux précédents en s’appuyant davantage sur les codes du cinéma « de genre ». Sins of the Fleshapoids est un véritable film de science-fiction puisque dans un futur lointain, les êtres humains ont créé un androïde en tout point semblable à l’homme mais programmé pour satisfaire tous leurs désirs. Un beau jour, Xar, un « Fleshapoid », se révolte, tue sa maîtresse et convole avec une jeune androïde… Dans les deux autres courts-métrages présentés dans ce DVD, on retrouvera ces éléments science-fictionnels : un pistolet laser dans The Secret of Wendel Samson et des soucoupes volantes à la fin de The Craven Sluck. La modestie des moyens déployés (films tournés en 16 mm avec une bande de copains) et l’archaïsme des « effets-spéciaux » ont fait dire que le cinéma de Mike Kuchar n’était parfois pas si éloigné que ça du cinéma d’Ed Wood. Si l’on s’éloigne du cliché qui veut que l’auteur de Plan 9 from Outer Space constitue l’essence de la ringardise, la comparaison se tient dans la mesure où Kuchar aime également s’inscrire dans un quotidien étouffant, à la manière de Glen or Glenda. The Craven Sluck, par exemple, est une satire mordante de “L’American Way of Live” avec une femme délaissée par un mari odieux et qui choisit de prendre un amant. Dans The Secret Wendel Samson, on retrouve également l’image assez angoissante d’un homme pris dans les rets d’aventures amoureuses compliquées (avec des hommes ou des femmes). L’image de celui-ci pris dans les fils d’une toile d’araignée géante est amplement évocatrice et traduit bien l’enjeu du cinéma de Kuchar : à la fois l’affirmation d’un « désir roi », hors de toutes les normes sociales en vigueur (on peut parler de cinéma queer) et une certaine angoisse liée au poids de la communauté, du groupe et de son désir de coercition.

Underground queer

Sins of the Fleshapoids est sans aucun doute le plus réussi des trois films, influence majeure pour John Waters, un délire camp à la fois drôle et luxuriant du point de vue visuel. Si les moyens sont réduits dans ce cinéma underground, cela n’empêche pas un certain soin apporté à l’image. Le film est une débauche de couleurs vives (tentures, tapisseries rougeoyantes…), de costumes extravagants, de colifichets qui viennent orner les torses nus et la chevelure des personnages. Dans une imagerie traditionnelle, l’ambiance est celle des orgies romaines avec des individus peu vêtus, mises à part quelques étoffes stratégiquement placées, se régalant de fruits juteux et opulents.

La trame du récit fait la part belle au mélodrame et aux amours interdites (entre deux « fleshapoids »). Outre la science-fiction et la satire féroce, Kuchar aime s’inscrire dans le mélodrame pour à la fois en saccager les codes par une certaine outrance (les phylactères qui s’inscrivent à l’image dans Sins of the Fleshapoids donnent au film un caractère grandiloquent). Mais également pour traduire une certaine tragédie de l’existence, surtout pour ceux qui ont le malheur de ne pas se situer dans la norme : l’homme volage de The Secret of Wendel Samson ou encore l’épouse délaissé de The Craven Sluck.

Entre série Z fauchée et underground flamboyant, comédie satirique et mélodrame baroque, ces trois films constituent une belle entrée en matière pour découvrir le cinéma de Mike Kuchar…

Retour à l'accueil