Rue Blanche (film intérieur) (2020) de François Barat (L’Harmattan, Créations au féminin, 2020)

Fragments

"Lorsque j'ai commencé à faire des films, j'ai pensé que j'allais vaincre la souffrance de l'écriture pour découvrir un monde à la mesure de mes incertitudes, de mes incapacités et de mes désirs. J'ai cru que je saurais exprimer les sentiments et donner une forme à ce que je voulais communiquer, une forme aux émotions qui allaient m'étreindre. Et pourtant, j'ai continué d'écrire."

Les premiers mots de ce récit autobiographique, que François Barat préfère qualifier de « film intérieur », donnent la mesure de ce que sera Rue Blanche. Réalisateur, producteur (notamment de Marguerite Duras et Fleischer), théoricien (il fonda dans les années 70, avec le regretté Vincent Nordon et Joël Farges, la revue ÇA/Cinéma), Barat revient à l’écriture pour tenter de donner une forme à ses émotions et son roman intime. Cette volonté de réfléchir à une écriture possible pour se raconter permet à l’auteur de prendre une certaine distance et d’éviter la complaisance de cette « autofiction » à la mode de nos jours où le simple témoignage permet de se dispenser de toute ambition littéraire.

François Barat procède par fragments et réminiscences. Si Rue Blanche débute de manière assez attendue par des souvenirs d’enfance, de cette « rue blanche » où tout a débuté, très vite l’auteur brouille la chronologie, saute d’une époque à une autre et procède par associations et courts-circuits. Entre les petits boulots de surveillant en région parisienne et les premières amours, il navigue au gré de souvenirs éparpillés comme les pièces d’un vaste puzzle dont il ne cherchera pas à éclairer toutes les zones d’ombre et les mystères. Il ne s’agit ni de tout clarifier, ni d’ajouter une confession à une histoire de la littérature qui en compte beaucoup puisque il y a chez l’écrivain cette conscience que tout a déjà été filmé et écrit :

« (…) j’ai essayé d’écrire un scénario. J’ai vraiment essayé mais j’ai compris que, après tous les scénarios de la terre déjà écrits, ce n’était pas bien facile d’en trouver un qui serait différent, qu’il fallait me résoudre au fait qu’il n’y avait peut-être plus de scénarios à écrire, enfin des scénarios comme on l’entendait autrefois, un peu comme le roman, on n’est pas sûrs d’avoir raison de vouloir écrire des romans, enfin certains d’entre nous doutent très fort de cette nécessité du scénario ou du roman et cela nous met dans une situation dépressive intense. »

L’écriture s’avère donc toujours teintée d’une certaine mélancolie et de cette douleur d’avoir échoué à renouveler et le cinéma, et la littérature. Il ne reste alors qu’à contempler « un immense champ de ruines (…) et je suis bien obligé de fabriquer une littérature qui lui ressemble. »

On l’aura compris, Rue blanche est également une œuvre réflexive où Barat s’attarde sur ses premières amours de cinéma, notamment Bergman qui revient comme un leitmotiv obsédant à travers le personnage de Monika mais aussi par l’évocation fiévreuse de la première séquence qui ouvre La Nuit des forains (le chapitre intitulé Une femme nue dans un film) avec le clown et sa femme humiliés. Mais c’est aussi avec une certaine tristesse qu’il constate l’échec d’une certaine modernité, d’un cinéma libre que lui et ses complices appelèrent de leurs vœux dans la continuité de l’onde de choc de Mai 68 : « Le cinéma se serait plutôt le free cinéma qui serait à mettre en valeur, un cinéma sans vrais acteurs, sans vrais producteurs, sans vrais distributeurs ni salles de cinéma, un free cinéma qu’on pourrait voir dans des lieux nouveaux comme les livres lorsqu’ils furent nouveaux. »

Cette réflexion proposée par Barat est aussi stimulante que parfois paradoxale. En effet, l’auteur prêche à la fois pour un cinéma totalement libre et déconnecté du « système » (« Les modernités se mesurent à l’audace de l’indiscipline ») mais il prêche également pour un système d’aides étatiques qui favoriseraient davantage les marginaux. Il tient à la fois des propos très virulents contre le fonctionnement des avances sur recette et des subventions (commissions auxquelles il a participé), frisant de temps en temps une certaine aigreur, pour ensuite regretter de ne pas en bénéficier. C’est d’ailleurs lorsqu’il se lance dans quelques considérations politiques (l’éloge de Ségolène Royal, on croit rêver !) que l’auteur est le moins convaincant.

En revanche, lorsqu’il évoque Robbe-Grillet ou la mort de Marcel Hanoun, Barat fait preuve d’une rare sensibilité et nous touche. Et ce sont ces petits instants, pointillistes, que parvient à saisir Barat qui font l’intérêt de Rue Blanche. Même si on peut regretter une certaine « intellectualisation » qui nuit parfois à l’émotion, l’auteur aura réussi à donner une forme à des souvenirs intimes. Et c’est cette forme, fragmentaire et discrètement élégiaque, qui donne à ce « film intérieur » une dimension universelle où chacun pourra retrouver certains de ses paradoxes (le désir d’être libre conjugué à l’envie d’être protégé par l’Etat) et de ses émotions…

 

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