Sunlove (1967) et L’État normal (1967) de Jean-Jacques Lebel (Editions Re:voir)

© Re:Voir

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Ceux qui me suivent depuis un certain temps savent que je ne suis ni un obsédé des technologies de pointe, ni des éditions gorgées à ras-bord de suppléments et bonus en tout genre. Que l’image porte sur elle les stigmates du temps ou que le menu de la galette n’offre rien à se mettre sous la dent en plus du film, la seule chose qui m’importe est l’œuvre en elle-même. Mais comme chaque règle ne vaut que pour ses exceptions, je dois dire que si je recommande chaleureusement ce DVD consacré à Jean-Jacques Lebel par les indispensables éditions Re :voir, c’est pour tout… sauf les deux films de l’intéressé.

Premier intérêt de ce DVD, un livret bilingue où Pip Chodorov s’entretient avec Lebel et revient sur la réalisation de ces deux films, sur le contexte social dans lequel ils s’inscrivent et sur le chemin qu’il a fallu pour les retrouver (ils étaient censément perdus). Jean-Jacques Lebel, célèbre activiste qu’on ne présente plus et qui se fit connaître grâce à ses happenings dans les années 60, notamment sa fameuse version du Désir attrapé par la queue de Picasso qui provoqua bien des remous en 1967. Ecrivain, plasticien et agitateur, Lebel s’est aussi essayé ponctuellement au cinéma. Pourtant, L’Etat normal relève davantage du collage que d’un film à proprement parler, Lebel se contentant d’accumuler des images d’actualités pour donner du monde un visage inquiétant. Qu’il s’agisse de guerres (Corée, Vietnam…), de catastrophes naturelles, de manifestations ou de simples images des grands de ce monde ; l’accumulation donne la sensation d’une humanité courant à sa perte. Dire que ce bout-à-bout est palpitant serait mentir et l’auteur jette un regard assez lucide sur son œuvre :

« Vis-à-vis d’une stricte définition du cinéma. Ce n’est même pas du cinéma : c’est un collage. Je me considère comme un bricoleur d’images, un peintre-collagiste qui expérimente avec le film. Les cinéastes sont bien plus complexes que ça. Je n’oserais jamais me définir comme cinéaste, si cette qualification s’applique à G.W.Pabst, à Orson Welles, à Man Ray (un bon ami), à Godard (qui, à son tour, a expérimenté les techniques du collage et du photomontage dans ses films et dans ses livres), ou à Jonas, qui était, un crois, un cinéaste extrêmement « pictural ». »

J’avoue que Sunlove m’a laissé tout aussi perplexe. Il s’agit d’un film en 16 mm tourné avec des amis de Lebel dont certains membres du Living Theatre. Le film est composé de deux parties, l’une en noir et blanc, l’autre en couleurs. Dans les deux cas, il s’agit de happenings filmés. Dans le premier, une bande de jeune gens à poil (époque oblige !) se livrent à diverses contorsions et danses effrénées. Dans le second, autour d’un petit garçon, d’autres individus se livrent à un rite païen assez obscur. Si le happening en tant qu’événement théâtral spontané et au présent est (était ?) une forme artistique extrêmement intéressante et très représentative d’une époque de libération des corps et des esprits ; la captation filmée a un intérêt limité et donne plutôt le sentiment d’assister à des cérémonies quasi sectaires pas forcément très palpitantes. Ce que le geste pouvait avoir de subversif à l’époque devient, sur pellicule, un spectacle comme les autres et bien moins inspiré et inventif que les cérémonies vraiment cinématographiques mises en scène par Jack Smith, Carolee Schneemann ou Kenneth Anger.

Pour mieux humer l’atmosphère bouillonnante de l’époque, on se reportera alors aux deux excellents films proposés en supplément et qui relatent, de manière différente, les grandes heures du festival du film expérimental de Knokke-le-Zoute en 1967.

Dans le superbe Exprmntl 4 Knokke, Claudia Von Alemann nous propose un tableau impressionniste du festival, filmant à la fois les personnalités qui y participèrent (Armand Gatti lisant l’un de ses textes, Harun Farocki, Shirley Clarke, Yoko Ono, Pierre Clémenti…), des extraits des œuvres présentées (de Stephen Dwoskin ou de Warhol filmant le Velvet Underground) mais également les manifestations houleuses qui s’y déroulèrent. Entre les autorités et des jeunes gens désireux de faire passer un message politique anti-impérialiste (on scande le nom d’Ho-Chi-Minh), le ton monte et de nombreuses altercations ont lieu. Dans ce cadre explosif, on aperçoit Lebel qui improvise également un happening rigolard. En 43 minutes d’une rare richesse, la cinéaste prend la température d’un festival hors-du-commun et – par extension- de toute une génération qui n’allait pas tarder à tout remettre en question un an plus tard.

C’est le même festival que film Jud Yalkut filme dans Exprmntl mais d’une manière radicalement différente puisque son film est muet et relève davantage d’une esthétique à la Jonas Mekas. Le cinéaste tente d’extraire des fragments du festival en juxtaposant une série de zooms (la plupart du temps avant, parfois arrière). Sa vision pointilliste est parfaitement complémentaire avec la démarche de Claudia Von Alemann (on repère d’ailleurs les mêmes moments du défilé nu organisé par Lebel). Le film est sans doute moins informatif que le précédent mais il n’en demeure pas moins intéressant.

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