Fascination
Shining Sex (1975) de Jess Franco avec Lina Romay, Monica Swinn, Evelyne Scott, Olivier Mathot (Artus Films) Sortie en DVD/BR le 1er février 2022
Au fond, Jess Franco a quasiment toujours réalisé le même film. Ces éternelles variations autour des mêmes thèmes et figures sont sans doute ce qui fascine, à juste titre, les admirateurs du cinéaste tandis qu’elles exaspèrent ses détracteurs. Il suffit de voir, au début de Shining Sex, la manière dont la caméra du réalisateur caresse le corps, offert à nos regards en toute impudeur, de sa muse Lina Romay pour réaliser à quel point ce cinéma n’est régi que par « l’énergie du fantasme » (pour reprendre le beau titre de l’essai de Stéphane du Mesnildot, critique et historien du cinéma qui apparait d’ailleurs en supplément des disques le temps d’une analyse passionnante et dont je vais avoir du mal à me détacher pour cette note tant elle me semble complète).
Le cinéma de Franco est peuplé de femmes mi-vampires, mi-succubes dont les trajectoires bousculent notre rapport au réel pour arpenter les chemins de l’imaginaire. Cynthia (Lina Romay) se produit dans un cabaret où elle se livre à des strip-teases torrides. Elle est abordée par un couple qui l’invite chez lui. Il s’avère qu’Alpha et l’homme qui l’accompagne sont des extra-terrestres qui enduisent le sexe de Cynthia d’une substance brillante qui leur permet de contrôler totalement la jeune femme. Dans La Comtesse noire, Lina Romay incarnait une sorte de vampire qui tuait ses victimes au moment de l’amour en les vidant de leur substance vitale. Ici, c’est à nouveau le sexe de la jeune femme qui provoque la mort des partenaires qu’elle convoite, qu’il s’agisse d’une sorte de médium (Monica Swinn) ou d’un savant suspectant l’existence de ces créatures extraterrestres (Olivier Mathot).
Avec la libéralisation des mœurs et de la censure, Franco peut filmer en toute liberté la seule chose qui l’obsède vraiment : le corps de celle qui deviendra son épouse et, plus particulièrement, son sexe. Shining Sex frôle parfois la pornographie (un genre peu prisé par le cinéaste qui s’y adonnera néanmoins parfois) mais se cantonne davantage à une succession de cérémonials érotiques procurant un véritable envoûtement. Avec ses nombreux zooms (une de ses figures de style favorites), il s’approche au plus près de l’intimité de son actrice et donne l’impression de faire l’amour avec elle. La beauté du film tient à ce regard amoureux dont ne se départit jamais l’auteur, construisant d’ailleurs tout le récit sur des regards. Si la caméra est toujours animée par cette pulsion scopique qui la pousse à explorer dans les moindres recoins l’intimité de sa muse, elle intègre toujours dans ce mouvement le regard du spectateur. L’homme qui enlève Cynthia, par exemple, porte constamment des lunettes de soleil dont le reflet semble constamment emprisonner la jeune femme. Le cérémonial n’existe que parce qu’il est médiatisé par un regard. Et ce regard permet de briser le continuum espace/temps pour nous faire pénétrer dans une sphère imaginaire et fantasmatique qui nous ramène à la science-fiction. Lorsque Cynthia commet ses méfaits, un montage habile et brutal relie les scènes au visage d’un scientifique handicapé (il se déplace sur un fauteuil roulant) qu’incarne Jess Franco lui-même. Comme dans Marquis de Sade : Justine où l’on voyait le récit naître de l’esprit d’un Sade incarcéré, le film peut s’envisager comme une pure projection mentale d’un cinéaste ici réduit à une position de voyeur (le spectateur vu comme handicapé cloué à son fauteuil). C’est le regard qui permet alors de briser les limites de l’espace (comme le souligne Stéphane du Mesnildot, la première scène de strip-tease est censée se dérouler dans un cabaret mais on reconnaît déjà la décoration de la chambre où Cynthia va être conduite par le couple) et le temps (là encore, je renvoie à cette magnifique idée exposée par Stéphane du Mesnildot qui voit dans de nombreux films de Franco une manière de faire revivre la muse Soledad Miranda tragiquement décédée dans un accident de voiture).
Pour accentuer cette étrangeté et ce sentiment de vivre dans un autre espace/temps, Franco joue joliment avec les décors futuristes et lunaires de la Grande-Motte (ces grandes tours juchées au bord de la mer) et prouve le temps de quelques cadrages inventifs qu’il est loin d’être le tâcheron que certains ont bien voulu décrire.
Evidemment, Shining Sex s’adresse à un public averti (ceux que l’érotisme au cinéma défrisent passeront leur chemin) mais pour peu qu’on goûte au charme vénéneux de ces rituels amoureux, il s’avère être un film assez fascinant.