Un baiser s'il vous plait
40 ans, toujours puceau (2005) de Judd Apatow avec Steve Carell

Je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi mais ce que j’aime dans la comédie américaine contemporaine, c’est son côté incertain. Autant pour une comédie française, nous savons immédiatement ce que nous allons voir (pas besoin d’être Paco Rabanne pour savoir que Disco est un infâme navet, parangon de la crétinerie beauf la plus absolue ; et ça, bien entendu, sans être obligé de se déplacer pour aller vérifier !).
L’avantage avec une comédie américaine, c’est qu’on ne sait jamais.
Il ne s’agit pas ici de jouer les bobos branchés qui portent aux nues n’importe quel nanar sous prétexte qu’il débarque d’outre-atlantique (c’est très à la mode en ce moment), ni de dire que toutes les comédies américaines récentes sont des modèles de réussite (les films d’un Tom Shadyac, par exemple, sont d’une effroyable nullité) mais de constater qu’actuellement, seule la comédie américaine nous offre, de temps en temps quelques bonnes surprises.
40 ans, toujours puceau fait partie de ces surprises agréables. Rien de révolutionnaire dans le concept adopté par Apatow puisqu’il s’agit avant tout de s’inscrire dans la lignée de ces comédies sentimentales régressives qui, des frères Farrelly au frères Weitz et leur American pie, font florès en ce moment. Seule différence notoire avec ce dernier titre : le héros du film obsédé par la perte de son pucelage n’est plus un adolescent décérébré mais un quadragénaire immature qui ne parvient pas à sortir de l’enfance (c’est un passionné de petites figurines comme le héros de Terrain d’entente était un indécrottable supporter de base-ball)
Un petit bémol tout de même : avant que je le découvre, ce film était précédé d’une rumeur extrêmement flatteuse (un exemple chez mon toujours très en verve petit camarade Mariaque, dont je partage d’ailleurs assez largement l’avis) et, d’une certaine manière, m’a un poil déçu. Disons que ce n’est pas le grand chef-d’œuvre de la comédie que j’attendais (le Un jour sans fin des années 2000) mais une œuvre souvent drôle, toujours très agréable mais parfois un peu longuette (20 minutes en moins n’aurait pas été un mal) et sans réelle personnalité formelle.
Allez, ces quelques réflexions sont là pour que je conserve ma réputation de chipoteur. Il n’est effectivement pas question de bouder le plaisir certain que nous eûmes à découvrir cette comédie régressive volontiers vulgaire (nous y reviendrons) et souvent désopilante.
Les amateurs de l’excellent Fous d’Irène ou du délicieux Sex academy seront en terrain connu : revoilà une trame de comédie sentimentale classique ravagée par des gags volontiers scatologiques ou peu ragoûtants (la fille levée en boite qui vomit au visage de notre puceau). Aidé de trois fidèles amis, le pauvre Andy (joué par un excellent Steve Carell qui épouse à merveille un registre à la Ben Stiller) épuise tous les stratagèmes pour perdre cet infernal pucelage qui lui gâche la vie (« Seigneur, la chasteté nous use » disait Arthur Cravan). Nous vous laissons le soin de découvrir ces méthodes mais nous vous recommandons particulièrement une scène d’épilation du torse déjà mythique !
Au-delà de la simple efficacité des gags, ce qui me touche dans cette comédie (et plus généralement dans la comédie américaine), c’est la manière dont le cinéaste offre une véritable profondeur à ses personnages. Le mot « profondeur » utilisé pour des comédies somme toute assez « pipi-caca » peut surprendre mais disons que lesdits personnages ne sont jamais univoques.
Prenons les potes d’Andy : ce sont au départ de gros crétins qui se moquent de lui. Mais au fur et à mesure que le film avance, on se rend compte qu’ils ont plusieurs facettes et qu’aucun n’est sacrifié ou caricaturé. On grossit le trait (certes, c’est le caractère essentiel de la comédie) mais ces personnages sont comme tout un chacun dans la vie : parfois crétins, lourds et vautrés dans la médiocrité ; parfois généreux, altruistes et capables de véritables gestes d’amitié.
C’est en ce sens que la « vulgarité » que j’évoquais à propos de ces films me paraît très saine. Elle n’est pas du tout de la bêtise satisfaite d’elle-même comme chez Onteniente ou Dubosc mais une façon de rendre très humblement l’homme à ses instincts régressifs tout en proposant d’autres facettes.
Du coup, comme le dit fort justement Mariaque, le film se révèle beaucoup plus fin que ce que les apparences pourraient laisser présager. Judd Apatow et son interprète principal observent avec une véritable acuité le paradoxe d’une époque où le sexe est partout, notamment comme signe de distinction social (devenu produit de consommation, il est devenu davantage une valeur d’échange plutôt qu’une valeur d’usage –pour employer une terminologie désuète- et il s’agit de l’exhiber comme on exhibe sa grosse bagnole. Ce n’est pas un hasard si Andy roule obstinément en vélo !) et où pourtant le manque (de tendresse, de complicité, d’amour…) et la frustration sont devenus si manifestes. Ils filment avec une vraie tendresse le mal-être de l’homme d’aujourd’hui (voilà un truc qui ne plaira sans doute pas à Coline Serreau !) et sa peur face au sexe considéré comme une véritable compétition.
On aurait pourtant tort de faire de 40 ans, toujours puceau un film puritain et moralisateur. Jamais il n’est question de louer la virginité jusqu’au mariage ou de revenir aux bonnes valeurs d’antan. Juste d’offrir au cœur du film une petite place pour des comportements qui échappent à la norme (c’est en ce sens qu’Apatow est proche des Farrelly) et de montrer qu’en matière d’amour et de sexe, lesdites normes ne tiennent pas (voir le regard sur la pathétique adolescente qui veut absolument coucher avec son copain, comme si tout le monde l’y obligeait !).
Aucun comportement (de la nymphomane au tombeur émérite) n’est stigmatisé parce que le film ne se place jamais au-dessus de l’humain : c’est sa modestie et sa grandeur.