Sept voeux contre une âme
Fantasmes (1967) de Stanley Donen avec Dudley Moore, Peter Cook, Raquel Welch

Que les plus puritains d’entre mes lecteurs ne se laissent pas abuser par un titre français un brin racoleur pour immédiatement monter sur leurs grands chevaux : je ne chroniquerai pas aujourd’hui l’un de ces obscurs nanars érotiques dont je me suis fait le spécialiste (mais demain est un autre jour : eh ! eh !). Fantasmes est tout simplement une comédie « pop », d’autant moins incriminable (libidineusement parlant) qu’elle a été tournée par le fort respectable Stanley Donen, coréalisateur de Chantons sous la pluie et Beau fixe sur New York.
Si ce film ne vous dis rien, sachez néanmoins qu’il fit l’objet d’un remake relativement récent par le (presque) toujours sémillant Harold Ramis sous le titre d’Endiablé et que, contrairement à presque tout le monde, je l’aime plutôt bien.
Soit Stanley Moon, un obscur petit cuistot de snack-bar follement amoureux d’une de ses collègues (interprétée par Eleanor Bron que je viens de découvrir dans Help !) et qui désespère à l’instar de tous les timides de pouvoir un jour lui adresser la parole et la séduire. Dégoûté, il tente de se suicider mais est sauvé in extremis par une incarnation très « british » du diable qui lui propose un pacte méphistophélique : son âme contre sept vœux lui permettant, sans doute, d’approcher sa bien-aimée.
Le film décline sous la forme de sketches presque autonomes les différentes manières dont vont être exaucés les vœux de Stanley (on voit d’ailleurs ce qui a pu séduire Ramis dans ce scénario « sériel »). Pour prendre quelques exemples, le voilà d’abord transformé en brillant intellectuel citant Freud et invitant sa conquête à venir écouter du Brahms sur des tapis moelleux. N’étant malgré tout pas parvenu à ses fins, il demande à revenir sous les traits d’un milliardaire et souhaite que Margaret ait désormais un appétit sexuel démesuré. Malheureusement, il pourra constater rapidement que cet appétit se porte sur tout le monde sauf sur sa personne !
Voilà un bref aperçu de ce qu’est l’humour de Fantasmes : quelque chose qui rompt assez radicalement avec ce que fut la comédie hollywoodienne dont Donen fut aussi un beau représentant (voir le délicieux Drôle de frimousse avec Audrey Hepburn) et qui se rapproche un peu de ce qui se fait aujourd’hui.
Le cinéaste joue effectivement beaucoup sur l’ironie, qui n’est ni tout à fait le nonsense auquel nous habituera la comédie britannique (même si la scène tordante des sœurs bondissantes sur des trampolines préfigure les Monty Python), ni ce détestable second degré qui semble aujourd’hui le dernier refuge envisageable pour l’humour (même si on en décèle quelques traces, comme ce « Julie Andrews » qui fait office de formule magique du diable pour exaucer les vœux).
Plutôt donc de l’ironie lorsqu’il s’agit de montrer les méfaits du diable en la personne de Peter Cook. Le spectateur apprend donc que les fientes de pigeons, les jeux débilitants, les problèmes de communication téléphonique sont son œuvre. Et le bougre menace même à la fin du film de multiplier à l’infini les « fast food », le béton et le bruit. Inutile de préciser que ces menaces ont été mises à exécution et que depuis près de 40 ans, Satan nous a infligé Michel Sardou, les MacDo, la tecktonik, les animateurs de la FM, le Sidaction, Noël Mamère, les présentateurs télé, et un temps pourri le 17 avril ! (liste non exhaustive, on s’en doute !)
Bref, l’humour « so british » fonctionne plutôt bien entre les sketches et regarde avec une ironie féroce le monde qui l’entoure. On savoure également les incarnations en chair et en os des sept péchés capitaux. Notre préférence va, on s’en doute, à la Luxure ; d’autant plus que c’est Raquel Welch qui endosse sa défroque, c'est-à-dire de beaux sous-vêtements rouges aguicheurs (à ce moment précis de la phrase, l’aimable lecteur qui a fait l’effort de me suivre jusqu’ici doit imaginer le cri du loup de Tex Avery !)
L’ensemble reste assez mineur si l’on se souvient des grands films de Donen mais rien de déplaisant là dedans : un scénario efficace, une mise en scène qui vise (et parvient souvent) à l’efficacité itou et de bons comédiens, notamment Dudley Moore dont on se souvient surtout des prestations mémorables dans deux très beaux films de Blake Edwards : Elle avec sa Bo (Derek) et son Bo (léro de Ravel) et le trop mésestimé Micki et Maude.
Même si ça se perçoit déjà dans Fantasmes, c’est dans ces deux films que l’acteur incarnera à merveille le désarroi de l’homme contemporain face à la gent féminine…