Lune de miel mouvementée (1942) de Léo McCarey avec Cary Grant, Ginger Rogers

 

 

Pendant la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis produisirent un certain nombre de films de propagande anti-nazi. Lune de miel mouvementée s’inscrit dans la lignée de ces géniales  comédies (Le dictateur de Chaplin et To be or not to be de Lubitsch) qui prirent comme toile de fond le cataclysme européen de l’époque. Moins renommé que ses deux illustres prédécesseurs, McCarey n’en demeure pas moins un cinéaste génial qu’il faut absolument redécouvrir. Il accompagna au début de sa carrière les grands noms du burlesque et fit tourner Laurel et Hardy, Harold Lloyd, Charley Chase et signa le meilleur film des Marx brothers (Soupe aux canards). Par la suite, il se montra aussi doué pour la screwball comedy (Cette sacrée vérité, l’extravagant Mr Ruggles avec Charles Laughton) que pour le mélodrame (c’est à lui que nous devons ce sommet du mélo romantique qu’est Elle et lui).

 

 

Once upon a Honeymoon débute fort classiquement. Un journaliste américain (l’irrésistible Cary Grant) est envoyé en Europe pour démasquer un baron autrichien (Von Luber) à la solde des nazis. Pour y parvenir, notre bonhomme commence par séduire l’épouse du baron, Kathie  (Ginger Rogers) une américaine désireuse d’oublier ses origines modestes. Cela nous vaut une scène désopilante où Grant se fait passer pour un couturier et se voit dans l’obligation de prendre les mesures de la belle avec la maladresse que l’on peut imaginer.

A partir de là va se dérouler une folle course-poursuite à travers les différents pays d’Europe annexés petit à petit par Hitler (la Tchécoslovaquie, la Pologne, la France). Le talent de McCarey consistant ici à employer les ingrédients classiques de la comédie américaine (quiproquos, crêpages de chignon, double-jeu…) en les appliquant à la fois à l’intrigue sentimentale et à la toile de fond historico-politique. Les personnages jouent les agents-doubles  aussi bien avec leurs sentiments  qu’avec leur pays. Von Luber trahit autant sa femme que son pays tandis que Kathie épouse l’autre camp (celui de l’espionnage américain) en même temps qu’elle succombe au journaliste…

Le va-et-vient est rondement mené. Le film est à la fois très drôle (McCarey renouant même avec le burlesque muet lors d’une scène finale vraiment très réussie) tout en n’oubliant jamais le tragique de la situation. Parfois, le rire se fige totalement et l’émotion nous étreint lorsque les nazis prennent notre couple pour des juifs et les envoient dans un camp. Cela dure peu mais le temps d’une scène déchirante (avec un chant yiddish qui s’élève et qui dit dès 1942 toute la souffrance d’un peuple) , McCarey donne l’alerte sur les atrocités en train de se commettre en Europe et évoque même l’horreur de l’eugénisme prôné par la doctrine nazie (le couple est menacé de stérilisation).

L’ironie du sort veut que je sois en train de lire le compte-rendu sténographié du procès Pétain. Or en voyant ce film, on a du mal à avaler l’excuse de l’ignorance qu’évoquent le maréchal et le témoin Laval lorsqu’il s’agit du sort réservé aux juifs. Que des hommes d’état ayant promulgué des lois anti-juifs, ayant organisé des rafles et livré sans vergogne des familles aux nazis prétendent ne pas savoir ni connaître ce qu’un cinéaste américain savait dès 1942 ;  voilà qui ne cessera de nous surprendre !

 

 

 L’intelligence de cette comédie, c’est de ne jamais oublier la gravité des évènements même lors des moments drôles. Un exemple entre mille : Cary Grant invite Ginger Rogers à dîner et lui fait boire de la vodka mêlée à du Brandy. Scène classique de la comédie américaine où le héros compte sur les effets de l’alcool pour séduire sa dulcinée. Sauf qu’ici, la belle ne s’enivre pas. La scène fonctionne sur le schéma de la comédie mais tout en restant humoristique (Grant est complètement saoul) , le cinéaste réintroduit de la gravité. L’actrice se met même à évoquer Schopenhauer mais ne veut pas succomber à son pessimisme et cite Browning et Shakespeare.

Lune de miel mouvementée fonctionne sur ce principe : jouer vaille que vaille la carte du spectacle, des conventions de la comédie sophistiquée et pétillante même si tout se casse la gueule autour. La plus parfaite illustration de ce principe restant le cliché classique du repas en terrasse avec en toile de fond les toits de Paris et la tour Eiffel. Eh bien cette image d’Epinal du romantisme hollywoodien, McCarey en vient à bout par une averse annonçant la séparation des amants.

 

 

Outre l’excellence de l’interprétation du couple vedette, la beauté du film réside dans cette manière d’oser rire des plus grandes tragédies en ne minimisant jamais la gravité de ladite tragédie. S’il est vrai qu’on peut rire de tout à condition de ne pas rire avec n’importe qui, alors on peut dire sans hésitation qu’il fait bon rire (et être ému) avec McCarey…

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