Bienvenue chez les beaufs
Camping (2006) de Fabien Onteniente avec Gérard Lanvin, Franck Dubosc, Mathilde Seigner, Claude Brasseur
Suite mais malheureusement pas fin de nos plongées dans le magma informe et peu ragoûtant de la comédie à la française actuelle. Est-ce encore la peine de parler d’un film comme Camping ? Ceux qui aiment un tant soit peu le cinéma sont déjà convaincus, sans même l’avoir vu, du résultat tandis que les autres, à qui s’adresse Fabien Onteniente, n’ont certainement rien à battre de ce que peuvent bien en dire les détracteurs (ignorés au mieux, considérés comme des pisse-vinaigre au pire).
Vous aurez compris que Camping n’est même plus un film mais un de ces produits actuels, monstre hybride entre la rapacité du commerce, la démagogie populiste et la plus franche bêtise télévisuelle.
Rien que le fait de placer en haut de l’affiche des gens comme Franck Dubosc et Mathilde Seigner, valeurs insurpassables sur le marché de la vulgarité, laisse déjà entendre que nous n’aurons pas affaire ici à du Marivaux (à moins que j’aie loupé la pièce où une femme trompée soulève sa jupe au restaurant en s’écriant, les fesses à l’air, « bail à céder » !). Qu’importe, après tout ! Mes notes récentes sur des films comme 40 ans toujours puceau ou Serial lovers l’ont bien montré (je l’espère !) : la comédie peut fort bien s’accommoder d’une certaine vulgarité à condition qu’elle ne soit pas strictement marchande et qu’elle relève toujours d’un projet de cinéma.
Rien de tout ça ici. Sur le papier, Camping est un ersatz maladroit des Bronzés, 30 ans après. Les beaufs ne vont désormais plus au Club Med mais au camping « les flots bleus » où un malheureux chirurgien esthétique (Lanvin) et sa fille, en route pour leurs vacances, échouent malencontreusement après une panne de voiture.
Le tableau est ensuite édifiant : crétins se baladant toute la journée en slip de bain, défilé de tongs et de bobs, galeries de dindes décervelées et d’amateurs de pastis… La caricature est lourdingue, les gags et répliques peu drôles et c’est filmé avec un manche de pioche.
Mais là n’est pas le plus grave, à mon avis.
Ce n’est pas, à proprement parler, le mépris visible que le cinéaste affiche pour les beaufs qui irrite. Mocky ou même un film comme Les bronzés n’hésitent pas à jouer la carte de la satire sociale et à tirer à boulets rouges sur la médiocrité. Mais je le répète quand il s’agit de Mocky, ce dernier « se mouille » : il ne joue pas avec la connivence du spectateur qui regarde confortablement le spectacle de haut mais s’en prend directement à lui. C’est à la fois beaucoup plus méchant et beaucoup plus corrosif car il y a derrière ses satires une véritable attaque contre le système social.
Chez Onteniente, on invite les beaufs à venir rire de leurs travers et à partir du moment où ils savent en rire (l’ignoble second degré cher à notre époque moisie qui nous vaut l’apparition idiote de Bernard Montiel !), on peut jouer sur les deux tableaux : d’un côté, le rire dirigé contre les cons ( toujours le voisin !) ; de l’autre, la possibilité de se complaire dans les signes extérieurs de conneries (klaxon italien…) à partir du moment où l’on se satisfait du deuxième degré.
Le deuxième degré a, en plus, le mérite de permettre un déluge de bons sentiments lorsque, sur la fin, les beaufs révèlent leur « humanité » et leur grandeur d’âme à l’inverse du riche parvenu. N’empêche que l’ordre social n’est jamais remis en question et que le film n’offre jamais aux personnages une possibilité d’évoluer. Il y aurait une thèse à écrire sur Gérard Lanvin qui se « repentit » d’avoir mal jugé Dubosc et qui pour s’excuser lui propose un poste de…vendeur d’agenda ! On y verrait toute l’époque : le retour à l’esclavage pur et simple (la profession n’est pas géniale mais c’est déjà un boulot, hein !), le paternalisme gluant des nantis qui enveloppent leur sauvage exploitation dans la guimauve du sentimentalisme humanitaire, le relativisme du « tout le monde à quelque chose de spécial et de bon » qui peine à masquer le réel « chacun à sa place »…
Le héros du film a beau s’appeler Chirac, Camping est bel et bien produit sarkozyste dont le niveau ne s’élève guère au-dessus de l’inculture crasse des pions qui gouvernent actuellement la république bananière de France…