L'ennui et la bourgeoisie
Nathalie… (2003) d’Anne Fontaine avec Fanny Ardant, Emmanuelle Béart, Gérard Depardieu
Postulat de départ (pardon pour le lieu commun !) : si le cinéma américain tire sa force de son centre (l’industrie, les genres), le cinéma français brille quand à lui dans ses marges (politique des auteurs, bla-bla…)
Corollaire : lorsque le cinéma français se pique de rivaliser avec le cinéma américain, le résultat est catastrophique et accouche, au choix, de ridicules bessoneries décérébrées ou de grosses comédies déjà ringardes avant l’heure.
Le problème qui se pose aujourd’hui c’est dans cette tentative opérée par la marge pour réintégrer le « centre » sans tomber dans les excès sus-mentionnés. Est-ce un rêve de l’industrie que de produire des films « d’auteur » de haut standing, calibrés pour une vaste diffusion, ou un regain de conformisme qui pousse les cinéaste a intégrer ce que j’ai appelé autrefois le « ventre mou » du cinéma ?
Prenez Anne Fontaine. Un premier film plutôt confidentiel (les histoires d’amour finissent mal en général) et la (toute) petite provocation de Nettoyage à sec ont suffi pour lui accorder l’estampille « auteur ». Et la voilà qui enchaîne les films, dont les titres même nous échappent (heureusement qu’il y eut les Césars pour nous rappeler qu’elle avait réalisé Comment j’ai tué mon père –qui s’en souvient ?- et Entre ses mains !), sans qu’on sache réellement de quel désir ils procèdent.
Ce n’est jamais honteux ni déshonorant mais ça ne présente, pour moi, pas le moindre petit intérêt.
Un film comme Nathalie… ne m’apparaît que comme un film de recettes : une histoire vaguement sulfureuse (comment une femme dont le couple bat de l’aile offre de l’argent à une prostituée pour qu’elle séduise son mari et lui raconte ensuite dans les moindres détails leurs ébats amoureux) , trois noms porteurs, le piment du sexe (qui n’est offert ici que sous la forme des dialogues) et une astuce de scénario que je ne dévoilerai pas mais qui se devine assez rapidement.
50 ans plus tôt, un type comme Autant-Lara aurait pu réaliser ce genre de film. C’est de la « qualité française » remise au goût du jour, du bon cinéma de papa où l’on force le trait psychologique, où la mise en scène est délaissée au profit du scénario (exemple type : une conversation entre Depardieu et Ardant a lieu dans leur salon. On coupe. Reprise de la conversation à l’endroit où on l’avait laissé mais les personnages sont dans leur lit. En gros, le lieu, le cadre, l’image, le plan n’ont aucune importance et ne sont là que pour enregistrer du dialogue !). C’est, de plus, rapidement répétitif (Béart retrouve Ardant et lui raconte ses parties de jambes en l’air. Parfois, elles se brouillent mais se réconcilient et c’est reparti !) et très ennuyeux.
C’est un peu triste à dire mais l’histoire de Nathalie… pourrait être celle de tout un pan du cinéma français actuel (de Peindre ou faire l’amour à Vers le sud en passant par Gentille et Travaux) : celle d’une bourgeoise vieillissante qui s’enquiquine et qui décide de se raconter des histoires pour s’émoustiller (que ce soit celle de l’échangisme, du tourisme sexuel ou de la promiscuité masculine). Sauf qu’elle prend bien garde de toujours garder sa bonne vieille dignité de bourgeoise et veille à ce que jamais les limites de la bienséance ne soient franchies, que les vagues provocations (quelle blague ! qui peut trouver les films de Cantet ou des Larrieu scandaleux ?) restent toujours bien anodines (ça reste du produit d’appel). Comme notre vieille bourgeoise à des moyens, elle convoque de bons acteurs pour incarner ses histoires. Ils font leur boulot mais sans plus. Pour moi, Béart et Depardieu font ici un parfait travail de fonctionnaires : ils exécutent, sont au service de la patronne mais jamais on ne les sent vibrer. Leur jeu sent la sueur du labeur bien fait. Ils ne sont pas des personnages mais deux monstres sacrés qui jouent un rôle. Seule Fanny Ardant m’a semblé vraiment s’abandonner à son rôle, arrivant à donner à son personnage ce petit frémissement, cette vibration intime qui manque tant au film. Elle prouve une fois de plus qu’elle est une actrice totalement magique. A chacune de ses apparitions, on se demande si, plus que l’extrême platitude du projet, ce n’est pas l’idée d’avoir reformé le couple vedette de la femme d’à côté en lui ôtant toute sa fièvre qui nous pousse à en vouloir à Anne Fontaine…