Un bouseux dans la ville
Albert est méchant (2004) d’Hervé Palud avec Michel Serrault, Christian Clavier, Arielle Dombasle
Mes bien-aimées lectrices, mes fidèles lecteurs, je ne voudrais pas paraître désobligeant mais vous avez fait de moi un esclave. Choisir un film à regarder relève désormais d’un choix cornélien où entrent en compte les réactions que mes notes pourront susciter chez vous. Et par peur d’être accueilli par une glaciale indifférence en vous parlant d’un petit western de série B signé Joseph Newman, j’ai préféré remiser au placard mes nobles ambitions culturelles et me coltiner avec une nouvelle comédie française contemporaine formatée pour le prime-time de TF1 ! Uniquement pour le plaisir de lire vos commentaires ! N’appelle t’on pas ça du dévouement ?
(Et hop ! voilà un paragraphe torché! on appelle ça du remplissage !… et de l’hypocrisie car si ladite chaîne câblée avait diffusé Les survivants de l’infini, le plus « célèbre » film de Newman, inutile de vous dire que je me serais dispensé de Clavier/ Serrault !).
Faudrait néanmoins que je me calme avec le comique franchouillard car vous allez finir par penser que je prends un malin plaisir à vomir le cinéma « populaire » (ce qui n’est pas le cas. Ce n’est pas de ma faute si, les calembours du style « Santé, mais pas des pieds » ne me font pas rire). Et si ce brave Michael Youn, qui s’est piqué d’insulter les critiques « professionnels » sur son blog, se rend compte que le spectateur lambda (comme moi) est beaucoup plus virulent que lesdits critiques, cela va se terminer par des procès contre nos vaillants hébergeurs !
Venons-en à Albert est méchant. Hervé Palud est un malin. Il y a une dizaine d’années, il décroche le jackpot avec Un indien dans la ville. Que croyez-vous qu’il fasse 10 ans plus tard ? eh bien le même film. D’un côté, une famille citadine aisée et totalement soumise à la société de consommation ; de l’autre, on remplace l’enfant indien par un vieil oncle atrabilaire qui vit en ermite à la campagne et méprise cordialement toute l’organisation sociale (en particulier l’argent). On plonge ce corps étranger (Serrault) dans ce monde ultra-bourgeois et le tour est joué ! De la confrontation doit naître le rire (là, ce n’est pas gagné !) et une petite morale où l’homme pressé et cupide retrouve le sens des vrais valeurs (la nature, le respect d’autrui, l’humilité, la simplicité…)
Après tout, ce scénario balisé aurait pu donné quelque chose d’agréable puisque, contrairement à Un indien dans la ville, Palud disposait ici d’un grand acteur en la personne de Serrault. Lâché en roue libre, le comédien en fait des tonnes et cabotine à tout va. C’est parfois un peu pénible mais c’est aussi à lui seul que nous devons les rares moments un peu amusants du film. J’aime assez quand Albert s’en prend violemment à l’argent, au culte de la consommation, à l’horreur de la bourgeoisie pavillonnaire ou encore ce moment où il invite un groupe de gitans à venir jouer de la musique en pleine réunion de co-propriétaires.
Seulement pour que ça fonctionne, il aurait fallu nous proposer autre chose que ces blagues de patronage (Serrault pète dans une cabine téléphonique ou fait avaler un laxatif à Clavier), ces jeux de mots dignes de l’almanach Vermot (voir plus haut) , ces situations téléphonées…
L’humour, qui aurait pu être corrosif, se révèle vite beaucoup plus démagogique que subversif. En prenant pour cible de vrais snobinards obsédés par leur fric et leur apparence, Palud se met d’emblée dans la poche le public « moyen » qu’il cible (l’audace aurait été de ridiculiser ceux qui non seulement se tuent pour un boulot abrutissant mais, en plus, ne gagne à peine que de quoi survivre !). Quand à Albert, malgré quelques phrases assassines de bon aloi, il est malheureusement plus proche du bon sens populaire franchouillard que de Ravachol ou d’un autre Albert (Libertad), ce génial anarchiste boiteux qui haranguait les foules (« Esclaves, brisez vos chaînes ! ») partout où il passait, qui brûla systématiquement tous ses papiers d’identité, qui provoquait d’innombrables rixes à chaque réunion auxquelles il assistait et qui ne manquait jamais l’occasion d’une mauvaise plaisanterie ( «Un camarade, la conférence ayant fini tard, lui offrit l’hospitalité pour la nuit. Le matin, au réveil, la femme du camarade frappe à la porte de Libertad pour lui donner son déjeuner. « N’entrez pas, cria ce dernier, je ne suis pas présentable ». Et s’étant mis nu comme un ver, debout sur son lit : « vous pouvez entrer », cria t-il » Jean Grave).
Bref, le résultat est médiocre et sans inspiration. Palud se moque du culte de la télévision de la famille Clavier/ Dombasle (les deux comédiens faisant leur habituel et désespérant numéro sans nous arracher le moindre sourire) et de l’affreuse ado qui ne rêve que d’être une chanteuse vedette mais Albert est méchant n’est finalement qu’un produit destiné à occupé une case entre un flot de pubs et la Star ac’.
C’est dire si ce téléfilm est dispensable !