Village damné
Le village (2004) de M. Night Shyamalan avec Bryce Dallas Howard, Joaquin Phoenix, Adrien Brody, Sigourney Weaver, William Hurt, Michael Pitt
Certains phénomènes dépassent l’entendement. Prenez Shyamalan (et gardez-le par la même occasion !) : plus ses films deviennent mauvais et plus la critique se met à délirer autour de son nom. Alors que sa plus belle réussite (Sixième sens qui, au demeurant, n’a rien d’exceptionnel mais se regarde avec un réel plaisir) ne fut pas l’objet d’un accueil critique démesuré ; les films qu’il tourna par la suite donnèrent lieu à des éloges démesurés et à des délires d’interprétation de plus en plus ronflants alors qu’ils ne faisaient que répéter les astuces du premier avec de moins en moins de talent (Incassable sentait déjà la resucée moins habile, Signes était carrément médiocre et ce Village est sans doute, à ce jour, le plus beau ratage du gourou indien d’Hollywood).
La marque de fabrique de Shyamalan, c’est le retournement de situation spectaculaire, qui intervient généralement à la fin et qui estomaque le spectateur. De ce point de vue, il est vrai que Sixième sens faisait preuve d’une indéniable habileté mais la réussite du film ne se limitait pas à ces « trucs scénaristiques » : il y avait également une mise en scène soignée et soyeuse et surtout, un incomparable sens du récit , de la narration. Avec ce film, on pensait tenir avec Shyamalan un formidable conteur, capable de nous captiver en quelques plans.
Hélas, notre bonhomme a voulu par la suite jouer les philosophes en nous assommant de considérations ésotériques et en plombant son cinéma d’un pseudo-mysticisme vaguement new-age.
Avec Le village, Shyamalan nous pond une fable aux semelles de plomb sur l’identité américaine et le repli communautaire sans jamais oublier ses considérations sur la vie et la mort. Au milieu d’une forêt interdite vit en (presque) parfaite harmonie une petite communauté villageoise. Tout irait bien si les habitants ne craignaient pas les « monstres » de la forêt (« ceux dont on ne parle pas ») avec qui les anciens ont passé un pacte de non-agression : pas de conflits dans la mesure où personne ne dépasse les limites du village.
Jusqu’au jour où un règlement de compte passionnel (je n’en dis pas plus car, étant dans un jour de grande bonté, je ne dévoilerai pas l’intrigue) pousse une jeune aveugle à s’aventurer dans cette forêt pour se rendre à la ville en quête de remèdes…
Tu la sens la métaphore qui se profile ? Le village en question, c’est bien évidemment l’image d’une Amérique de plus en plus frileuse et repliée sur elle-même, qui n’arrive pas à envisager autre chose que le Mal hors de ses frontières. Pourquoi pas ? mais encore aurait-il fallu traiter cette fable autrement qu’avec un récit anémique et un ton ultra-compassé (le sérieux monacal des films du cinéaste n’a fait qu’aller en empirant. Avec le village, il atteint un point de non-retour qui rend son film aussi exaltant qu’une homélie du révérend père De Falco !).
Cinéaste « post-mortem » par définition (comment offrir une fiction à un mort –Sixième sens- ou faire d’un individu lambda un super-héros d’avant la mort du cinéma –Incassable-) , Shyamalan avait pour lui une foi inébranlable dans la fiction lui permettant de ressusciter les morts. Ici, il n’y a pas la trace du moindre désir de récit : juste une intrigue qui se traîne lamentablement jusqu’à quelques coups de théâtre prévisibles (les coups de théâtre, pas leur contenu !) et qui n’est prétexte qu’à une vision apathique d’une communauté villageoise.
La mise en scène bénéficie d’un certain soin (ce côté toujours très feutré des films de Shyamalan) mais elle est si apprêtée qu’on s’ennuie à mourir au bout de 20 minutes. Les acteurs sont assez pitoyables, que ce soit Joaquin Phoenix dans le rôle d’une bûche autiste ou Adrien Brody qui se livre à un cabotinage éhonté dans le rôle de l’idiot du village. Seule s’en tire la lumineuse Bryce Dallas Howard, la seule révélation de ce film.
C’est elle que l’on retrouvera dans Manderlay de Lars Von Trier, également une fable sur l’Amérique mais autrement percutante, à mille lieues des bondieuseries niaiseuses de Shyamalan (la disproportion du traitement critique de ces deux films est purement scandaleuse !).
Car autant le dire franchement, Shyamalan n’a rien à dire sur l’Amérique si ce n’est que l’harmonie parfaite d’un peuple débarrassé de toute querelle et de toute violence (univers qui, entre nous soit dit, ressemble de très près à celui de la petite maison dans la prairie et qui donne vite la nausée) n’est pas envisageable sans l’ouverture à l’Autre ; que la paranoïa sécuritaire n’est qu’une fable et qu’il n’y a que l’amour qui peut sauver le monde !
La belle affaire ! Le résultat est soporifique !