Au nom des acteurs
Qu’est-ce qui fait courir les crocodiles ? (1970) de Jacques Poitrenaud avec Michel Serrault, Jean Poiret, Francis Blanche, Boby Lapointe
J’ai l’honneur de vous annoncer, non sans une certaine fierté, que vous êtes en train de lire le seul blog au monde (pas de fausse modestie !) où l’on évoque encore le nom de Jacques Poitrenaud. Et je vous vois déjà, ingrats lecteurs, terminer votre lecture après cette première phrase en fulminant : « connais pas ! ». Et voilà une note de plus qui passera à travers les mailles de votre vigilance et qui ira se perdre dans l’anonymat des vastes steppes de la toile.
Et moi qui ne désespère pourtant pas de développer votre culture générale ! Je sais, le nom de Poitrenaud n’est pas forcément facile à placer au cours d’une soirée et l’on vous interrogera rarement sur la carrière du bougre : mais un peu de curiosité, que diable ! Je tâche donc de ne point faillir à ma mission en vous apprenant que le cinéaste a réalisé quelques titres mythiques comme Une souris chez les hommes (avec De Funès) et Du grabuge chez les veuves (titre somme toute assez sympathiquement rigolboche !). Je me cantonne d’ailleurs à citer les films que j’ai vus du bonhomme et dont, à vrai dire, je ne me souviens de rien sinon justement desdits titres.
Qu’est-ce qui fait courir les crocodiles ? est un film plus tardif qui nous amène à nous poser une autre question existentielle du même genre : qu’est-ce qui a pu pousser un producteur à mettre en chantier un film comme celui-ci ?
Réponse : les acteurs ! Au cours des années 60, quand les masses n’étaient pas encore totalement abruties par les inepties télévisuelles ; on faisait appel aux comiques triomphant sur les scènes des boulevards ou du « one man show » pour agrémenter quelques nanars tombés en désuétude depuis (qui regarde encore les films de Pierre Chevalier ou Guy Lefranc avec Fernand Raynaud ?).
Poitrenaud convoque ici Serrault et Poiret pour une abracadabrante histoire de cousin campagnard propulsé PDG d’une grande entreprise à la place de Francis Blanche. Le trio de vedettes tourne en roue libre et c’est bien le seul intérêt du film que de laisser carte blanche à ces trois comédiens exceptionnels.
Pour ma part, je trouve d’ailleurs que les meilleurs moments du film sont ceux où Serrault et Poiret sont face à face et se livrent à leur numéro de duettiste. Dans ces (rares) moments, le film glisse vers une loufoquerie absurde qui dépasse largement le cadre de son scénario débile et d’une mise en scène calamiteuse.
Face à ce genre de produit trop ringard pour susciter une véritable hargne, le spectateur n’a qu’un regret : que le génie comique de comédiens comme Serrault et Poiret n’ait pas été mieux exploité par de vrais cinéastes. Heureusement, il y eut Guitry (dans Assassins et voleurs, ils sont tout simplement géniaux) et l’immense Mocky qui a su se hisser au niveau de leur folie.
Mais à côté de ça, combien de nanars et de sous-produits oubliés dès la dernière minute du générique ?
Pfff ! Quel gâchis !
NB : Le film a aussi le petit mérite de nous montrer Boby Lapointe dans un court rôle où il est perpétuellement cuit. Je ne sais pas s’il s’agit d’un rôle de composition mais ça reste assez émouvant de revoir ce grand monsieur quelques années avant sa mort…