Le cheik blanc (1952) de Federico Fellini avec Alberto Sordi, Brunella Bovo

 

 

 

Quels désirs, quelles envies nous poussent à regarder (ou pas) un film ? Généralement, c’est l’auteur, les interprètes ou le genre qui nous titillent (je renâcle plus volontiers à me mettre devant un documentaire sur la cueillette du riz en Malaisie par des moines bouddhistes que devant un film de kung-fu où les mêmes moines se castagnent à longueur de pellicule). Mais parfois, ce sont des phénomènes totalement irrationnels qui entrent en ligne de compte. Par exemple, le nom des réalisateurs. Je ne sais pas si c’est la même chose pour vous mais des noms comme Anatole Litvak ou Edward Dmytryk agissent dans mon esprit comme de véritables repoussoirs (alors que je suis prêt à regarder les films les plus miteux de José Bénazéraf ou Max Pécas rien que pour leurs noms extraordinaires !). C’est la même chose pour les titres. J’ai toujours refusé jusqu’à hier de regarder ce film de Fellini parce que je trouve son titre rédhibitoire (je ne sais pas si vous mesurez à quel point le début de cette note fait avancer tous les concepts de la critique en vigueur jusqu’à présent !) . Le cheik blanc, c’était pour moi l’image la plus parfaite du film d’aventures kitsch qu’affectionnèrent tant les italiens à une époque et où manquait seulement Gainsbourg dans le rôle du méchant. Bien entendu, il n’en est rien mais je vous demande de ne jamais oublier le rôle de ces phénomènes irrationnels qui peuvent infléchir notre jugement…

 

 

 

Wanda et son mari arrivent à Rome pour leur voyage de noces. Alors que son bonhomme a prévu un programme ultra-chargé (et gai comme un ostensoir !) de réjouissances comprenant une audience papale et une série de visites en famille ; Wanda ne rêve que de rencontrer « le cheik blanc », le héros d’un roman-photo qu’elle dévore chaque semaine. Profitant de l’assoupissement de son mari, elle se fait la malle et rencontre l’acteur (incarné par Alberto Sordi, un des grands noms de la comédie italienne). Celui-ci se rendant compte de l’opportunité de séduire la belle l’emmène sur les lieux de son « tournage »…

 

 

 

Avec ce film, Fellini rend hommage à la culture populaire qu’il aime en opposant à la vitalité des comédiens, des saltimbanques, des cracheurs de feu, des fanfares ; l’aspect compassé de l’opéra où se rend la belle-famille et le sidéral ennui du programme des visites « culturelles » imposé par le mari de Wanda. D’autre part, le « roman photo » est ici vu comme une fenêtre ouverte sur l’imaginaire et le merveilleux, à l’instar du cinéma.

D’une certaine manière, Fellini réalise ici sa Rose pourpre du Caire. Notre héroïne est une midinette qui ne rêve que de paillettes et d’aventures exotiques et romantiques. Lorsqu’elle rencontre le cheik blanc (la scène où Sordi fait de la balançoire au dessus des arbres sous les yeux exorbités et émerveillés de la jeune femme est magnifique), elle passe de l’autre côté de l’écran et entre dans cet univers fictif.

 

 

 

A partir de là, le film va prendre deux directions contradictoires. Dans un premier temps (comme le fera d’ailleurs Woody Allen une trentaine d’années plus tard), Fellini montre la supériorité de l’Art sur la vie et rend hommage à la toute puissance de l’imaginaire (même s’il ne se livre pas encore à ses débordements baroques qui feront ensuite sa réputation) . D’autre part, le cinéaste cherche à démystifier ce miroir merveilleux. De son héroïne, il fait une petite phalène aveuglée par les feux de la rampe et qui risque à tout moment de se brûler les ailes ou de sombrer dans l’abîme. Il s’avère en fait que ce cheik blanc n’est qu’un grand veau veule et pleutre qui profite de sa renommée pour tenter de séduire la jeune femme et lui ruiner sa réputation.

C’est là où, à mon sens, le bat blesse. En refusant de jouer le jeu de l’illusion, Fellini empêche toute émotion de poindre (à l’inverse du chef-d’œuvre de Woody Allen). En mettant en garde les midinettes contre les dangers d’oublier la réalité pour ces mondes fictifs, le cinéaste nous inflige un épilogue totalement insupportable de moralisme (« mon cheik blanc, c’est toi » dit Wanda à son sinistre mari en l’accompagnant bien sagement avec tout le reste de la famille à l’audience papale).

 

 

 

Si on excepte cette fin que je déteste, le film est néanmoins intéressant. S’il ne distille aucune émotion, c’est que Fellini joue la carte de la comédie grinçante et met en scène avant tout des pantins. Cela nous vaut quelques moments assez réjouissants (la peinture de la belle-famille, archétype de cette abjecte bourgeoisie guindée) et une farandole de silhouettes hautes en couleurs qui valent le détour (ce fan grassouillet qui perturbe la prise des photos ou l’apparition dans la nuit romaine de Cabiria, cette petite prostituée interprétée par la muse Giulietta Masina, à qui Fellini consacrera un film quelques années plus tard ).

 

 

 

Personnellement, j’avoue ne goûter que moyennement (blasphème !) l’exubérance de la comédie à l’italienne. Autant l’exubérance slave (celle du grand Kusturica) me ravit, autant ces incessants piaillements, ces éructations, ces gesticulations des acteurs italiens me fatiguent un peu. Ceci dit, je reconnais volontiers le génie de Fellini et je suis le premier à défendre certains de ces grands films. Or le cheik blanc n’en fait pas partie.

Juste un petit film intéressant mais mineur dans l’œuvre du maestro…

 

 

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