Surveiller et punir
Samaria (2004) de Kim Ki-Duk
Si vous désirez briller en société à peu de frais, il est bon de savoir qu’il existe, comme ailleurs, des modes en matière de cinématographies (ce qu’un commentateur spirituel de Matière focale , l’indispensable blog de mon auguste confrère le Dr Devo dont je ne saurais trop vous prescrire la consultation régulière, appelait « les catalogues printemps-été » des critiques). Il y a quelques années, il était de bon ton de s’esbaudir devant les films iraniens et les films portugais. Aujourd’hui, même si un certain reflux commence à se faire sentir, c’est le cinéma argentin qui a le vent en poupe.
Le cas du cinéma asiatique est plus complexe puisque qu’il reste une valeur sûre depuis 10 ans même si ce sont opérés des changements en son sein. Les regards tournés autrefois vers Hongkong et Taiwan sont désormais fixés sur la Chine populaire et surtout la Corée, nouvelle Mecque de la cinéphilie française.
Il serait facile d’ironiser sur cet instinct grégaire qui pousse nos braves critiques à se passionner tous au même moment pour la production des mêmes contrées exotiques. Nous ne le ferons pas car c’est aussi ces phénomènes de modes arbitraires qui nous ont permis de découvrir, entre autres, des gens comme Wong Kar-Waï, Tsaï Ming-Liang, Hou Hsiao Hsien, Jia Zhang-Ke, Kitano, ou Hong Song-Soo. Nous n’allons quand même pas nous plaindre !
Le revers de la médaille, c’est la sortie intempestive (enfin, tout est relatif : les films dont je vais vous parler n’accapareront jamais autant d’écrans que Michael Youn !) d’œuvres qui ne doivent leur distribution qu’à cet appétit pour un cinéma national soudain porté aux nues. C’est ainsi que, chaque année, nous devons nous taper un Kim Ki-Duk, cinéaste coréen très surestimé.
Personnellement, je ne détestais pas l’île, film curieux et allégorique, étrange mélange de cruauté complaisante (certaines scènes de ce film étaient vraiment insoutenables) et de raffinement esthétisant. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, loin de là, mais c’est vraisemblablement ce que le cinéaste a fait de plus intéressant.
Après, c’est du dépliant touristique pour public occidental avide d’exotisme et de dépaysement (comment qualifier autrement l’ultra académique et soporifique Printemps, été, automne, hiver et printemps ?)
Avec Samaria, Kim Ki-Duk s’attelle à un sujet contemporain. Il brosse le portrait de deux lycéennes qui désirent trouver de l’argent pour faire un voyage en Europe. L’une d’entre-elle se prostitue à cet effet tandis que l’autre s’occupe d’arranger les rendez-vous et de conseiller son amie...
La première demi-heure du film n’est pas déplaisante. Les deux petites poupées coréennes sont à croquer et le cinéaste capte l’attention par quelques partis-pris de mise en scène assez intéressants (ne s’en tenir qu’au point de vue de Yeo-Jin, le demoiselle qui « manage » l’affaire, par exemple). Force est de reconnaître cependant que le film est déjà gangrené par cette joliesse chère à un cinéaste incapable de faire autre chose d’un plan qu’une carte postale. Que ce soit ces lycéennes en petites jupes plissées ou les personnages qui gravitent autour ; le film est lisse et sans aspérité. Nous sommes, au sens strict, dans le domaine du cliché.
Puis vient le drame. Pour échapper à la police, Jae-Young (celle qui se prostitue) saute par la fenêtre de l’hôtel et se tue. Son amie décide alors de se racheter (elle culpabilise de l’avoir entraînée dans ce mauvais plan) en couchant avec les clients de la défunte pour leur rendre leur argent.
Là encore, pas de profondeur. Quelque chose de lisse mais où commence à se manifester le discours du film. En jouant la carte de l’émotion facile (la mort de la meilleure amie, l’innocence bafouée…), Kim Ki-Duk commence à chausser les sabots de la morale la plus rance. Et ça va ne faire qu’empirer lorsque le père de Yeo-Jin, un flic, surprend sa fille dans les bras d’un de ces hommes. Le point de vue du film change et épouse alors celui de ce père qui va surveiller discrètement sa gamine et punir ceux qui tentent de l’approcher. Samaria se transforme alors en un abject réquisitoire pour la vengeance individuelle et se met à ressembler à un Joël Schumacher coréen !
Entendons-nous bien, je ne fais en aucun cas l’apologie de la prostitution des lycéennes mais je n’estime pas la peine de faire un film uniquement pour pleurnicher sur ce phénomène de société (« l’innocence bafouée, ce n’est pas bien !», c’est comme dire : « la guerre, quel malheur ! » ou « quelle tristesse la maladie » !). D’autant plus que Kim Ki-Duk a recours aux pires effets de manche (l’homme respectable démasqué pendant qu’il prend son repas avec toute sa famille, notamment avec sa fille qui a, bien entendu, à peu près l’âge de celle avec qui il vient de coucher) et au chantage à l’émotion (Yeo-Jin endormie avec son énorme peluche, image de l’enfance apaisée mais que nous savons violée). Sans parler de cette manière qu’à toujours le cinéaste d’esthétiser la violence, d’en faire quelque chose de « joli » (des rigoles de sang qui coulent lentement le long des pavés alors que le cadavre reste hors-champ).
Le plus déplaisant, c’est que Kim Ki-Duk garde toujours la même attitude que ce personnage du père qui ne communique pas avec sa fille (sauf pour lui raconter de bêtifiantes légendes sulpiciennes) tout en étant toujours derrière pour frapper ceux qui l’approchent. Aucune information n’est donnée ni du côté des filles (pas de joie, pas de souffrances…), ni des clients (sur leurs désirs, leurs (éventuelles) réticences, leurs sentiments de culpabilité), ni même sur le propre désir du cinéaste et son trouble face à ces corps adolescents. La posture moralisante est facile (elle nous vaut d’ailleurs une dernière partie en forme de balade touristique totalement soporifique) mais elle est aussi faux-cul car Kim Ki-Duk ne se prive pas de filmer ses deux lycéennes sous la douche en train de faire leurs ablutions !
Si un film ne sert pas à explorer les gouffres, à pointer les failles, à s’élever un tant soit peu au-dessus des notions de Bien et de Mal ; mais à tenir lieu de rapport de flic, il m’apparaît assez légitime de le conchier.
PS : Rien à voir mais juste un lien qui m’a bien fait rire ! (et je suis presque à 100% d’accord avec le palmarès)