Au pays des sosies...
Podium (2003) de Yann Moix avec Benoît Poelvoorde, Jean-Paul Rouve, Julie Depardieu
Si vous vous interrogiez sur les raisons de la persistance de ce rude hiver et sur celles des impressionnantes chutes de neige du week-end dernier, n’allez pas chercher plus loin qu’ici : je vais dire du bien d’une comédie française récente !
Et pourtant, rien n’était gagné d’avance car s’il y a bien une chose qui m’horripile par-dessus tout, c’est la nostalgie infantilisante dans laquelle se vautrent les gens de ma génération ! Je n’ai jamais rien trouvé de plus pathétique que ces trentenaires versant une larme à tout bout de champ sur le Casimir de leur enfance ou s’éclatant en boite sur Capitaine Flam et Candy ! L’époque que nous avons vécu ne se résumerait donc qu’à ça ? de vieilles saloperies télévisuelles qu’aucun gamin d’aujourd’hui ne pourrait supporter plus de deux minutes ? Fichtre ! j’envie vraiment souvent ceux qui ont fait mai 68 !
Passons…
En s’intéressant au monde des sosies et plus particulièrement à un clone fanatique de Claude François, Yann Moix s’exposait à deux dangers. Primo, jouer la carte du second degré facile, du ricanement prenant tout le monde de haut et raillant la bêtise et la vulgarité de l’univers décrit (le cinéaste semble avoir compris que c’était tirer sur une ambulance et que ça n’avait pas grand intérêt). Deusio, faire au contraire une sorte d’apologie du mauvais goût kitsch , assez typique de notre époque où le ringard est élevé au rang des beaux-arts (avec comme corollaires un humour se contentant de rire de sa propre nullité, affichant sa ringardise assumée comme les Robins des bois). Moix s’en tire en évitant ces deux écueils et en naviguant, à mon avis, dans le sens de Tonie Marshall lorsqu’elle réalisait le joli France boutique (sur le télé-achat) : pas de second degré, une attention sérieuse (mais malicieuse) au sujet traité sans pour autant se donner des illusions sur ce sujet. Bernard Frédéric a beau commencer en vilipendant Brassens, on sait parfaitement que Claude François n’arrivera jamais au talon du barde Sètois et ne pourra jamais prétendre à autre chose qu’à son statut d’icône kitsch.
D’un autre côté, en montrant des images d’actualités du réel désespoir des fans apprenant la mort de leur idole ; Moix entend prouver qu’il va prendre au sérieux cette histoire de sosie bien décidé à partir en tournée et à emporter le titre de la meilleure imitation de Claude François. Il ne s’agit pas de rire de l’objet de la passion de Bernard Frédéric mais davantage des moyens mis en œuvre pour parvenir à assouvir cette passion. Ce personnage n’est pas ridicule parce qu’il imite la star défunte (s’il l’est, c’est uniquement dans la mesure où Claude François l’était déjà à l’époque) mais nous fait rire de toute la machine de guerre qu’il met en branle pour conquérir son rêve (extorsion de fonds dans la banque qui l’emploie, entraînement quasi-militaire des « Bernadettes »…)
Le cinéaste arrive à composer un véritable personnage de comédie et il est dès lors plus que temps de révéler que la (très modeste) réussite de ce film (très mineur), qui risque par ailleurs de mal vieillir (trop de références contemporaines ! pour quelqu’un comme moi qui regarde quasiment pas la télé, j’avoue qu’il m’a fallu un temps d’acclimatation pour me souvenir de qui était Evelyne Thomas et pourquoi ça peut –éventuellement- faire rire), est entièrement due à Benoît Poelvoorde, acteur tordant qui compose un Bernard Frédéric constamment hilarant.
Grâce à lui, le film bénéficie de scènes absolument irrésistibles (le casting des « Bernadettes », leurs entraînements…). Le comédien joue à merveille l’inébranlable foi de cet homme au caractère irascible et aux méthodes dictatoriales de petit caporal. Il est secondé excellemment par Jean-Paul Rouve (un des Robins des bois, déjà parfait en ignoble collabo dans l’estimable Monsieur Batignolle de Jugnot. Eh ! eh ! l’hiver n’est pas fini !) qui, en sosie de Polnareff, joue plus le registre du second degré mais avec une certaine retenue (il n’est pas le nullard ringard que l’on pourrait craindre).
A côté de ça, le film est plutôt platounet (ce n’est pas du Lubitsch !) et Moix se plante en n’assumant pas de ne faire « qu’une » comédie et en lorgnant vers une fin sentimentale aussi conventionnelle (pas un cliché ne manque à l’appel) qu’insipide. Heureusement qu’il a fait appel à Julie Depardieu qui, de sa présence frémissante et de son regard magnifique (c’est facile d’avoir de beaux yeux, c’est juste une question de coloris ; Julie Depardieu a plus et c’est bien plus dur : elle a un beau regard…) arrive à donner un brin d’épaisseur à un personnage totalement stéréotypé.
Mais comme je vous le disais en ce début de note, j’ai décidé d’être indulgent ce soir et de décréter que, pour l’heure, trois excellents comédiens, un sujet traité honnêtement et quelques scènes vraiment tordantes suffisaient à me satisfaire.
Profitez-en, ce ne sera pas le cas tous les jours !