Le jeu de la guerre des gangs
PTU (2000) de Johnnie To
Poursuivons notre exploration de l’œuvre de Johnnie To, nouvelle coqueluche des salles de rédaction parisiennes qui est parvenue à détrôner dans le cœur des cinéphiles « branchés » un John Woo qui n’a jamais réussi à se remettre d’une carrière américaine plus que médiocre.
Pour ma part, j’étais parti sur de mauvaises bases puisque j’ai détesté The mission (à vrai dire, je n’y ai rien compris !). Puis j’ai découvert l’assez satisfaisant Election avant d’être vraiment intéressé par le brillant Breaking news.
Chez ses thuriféraires, PTU bénéficie d’une incroyable aura et est considéré comme une sorte de chef-d’œuvre. C’est donc avec une véritable curiosité que je me suis coltiné à ce film.
Le premier mot qui m’est venu à l’esprit est « brillant ».
Sur une trame très épurée (l’action se déroule en une nuit pendant laquelle auront lieu un meurtre, un début d’enquête et un règlement de compte final), Johnnie To déploie un vrai talent de mise en scène pour suivre les différentes forces en présence qui vont s’affronter.
Debord et Alice Becker-Ho ont intitulé un de leurs ouvrages de stratégie Le « jeu de la guerre ». Relevé des positions successives de toutes les forces au cours d’une partie. D’une certaine manière, ce titre à rallonge pourrait servir de descriptif à PTU.
Les forces que le cinéaste met en présence sont, d’une part, les flics (avec une opposition entre la Crim’ et la brigade anti-gang) ; de l’autre, les malfrats divisés en deux bandes rivales. Le film n’est plus alors qu’une description des positions de ces groupes dans un quartier glauque de Hongkong et leurs avancées successives. Il ne semble d’ailleurs n’avoir été écrit que pour aboutir au gunfight final, climax attendu mais formidablement chorégraphié par To.
Plus que comme un traditionnel film policier, PTU m’est apparu comme un essai de stratégie, un film où toutes les ressources d’un espace finalement assez circonscrit (unité de temps, unité de lieu : To retrouve les préceptes de la tragédie) sont explorées avec un rare brio. La mise en scène ne fait finalement (mais c’est déjà énorme !) que quadriller le terrain, utiliser chaque acteur comme un pion sur un échiquier qui tente de s’approprier l’espace dont il dispose (en évitant d’être attaqué par l’ennemi).
Le résultat est assez captivant et fort virtuose. Il n’empêche que je suis quand même resté un peu sur ma faim. Et une fois de plus, j’ai envie de dire que Johnnie To se complait peut-être un peu trop dans un cinéma qui relève avant tout de l’exercice de style. Quand tombe le couperet du générique final, l’impression de brio que procure le film laisse la place à la question traditionnelle : « à quoi bon ? ». Attention, je ne suis pas en train de faire l’éloge du cinéma « à message » et de privilégier le contenu par rapport à la forme. Mais lorsque la virtuosité formelle semble la seule fin d’un film, on peut aussi regretter son caractère un peu vide et sa vacuité.
Là encore, je ne regrette absolument pas l’absence totale de dimension sociologique, politique ou je ne sais quoi encore de PTU mais que le cinéaste ne parvienne pas à dépasser la coquille vide du formalisme. Pour prendre un exemple précis, je trouve qu’aucun des personnages n’est attachant, aucun ne bénéficie d’une certaine épaisseur. Ils ne sont là que comme des silhouettes destinées à agrémenter une mise en scène purement graphique.
Il n’y a plus d’humanité chez To : juste des lignes, du mouvement, des couleurs et de la vitesse. Ca pourrait être passionnant si ce vide était « interrogé » (Cf. Antonioni) mais ce n’est pas le cas. Seul l’épate visuelle semble le mouvoir.
D’aucun trouveront que je suis bien sévère avec ce film mais j’avoue qu’au bout du compte, il ne m’a guère touché. Par contre, ces réserves ne m’empêchent pas de le trouver extrêmement brillant (je me répète !) et virtuose et d’avouer avoir pris un certain plaisir à suivre les mouvements stratégiques de ces groupes rivaux dans la nuit hongkongaise.
Reste ce sentiment qu’il manque toujours quelque chose à To qui l’empêche de passer du bon cinéaste qu’il est au grand cinéaste qu’il pourrait être…