Attention, les enfants regardent (1978) de Serge Leroy avec Alain Delon, Sophie Renoir

 

 

Envisageons un instant le cinéma comme une vaste librairie d’occasion ou le présentoir d’un bouquiniste. A côté des éternels classiques et des perles rares, le fouineur curieux apercevra toujours un stock immense de livres de poche défraîchis (des polars, par exemple) que le temps a fini par rendre totalement anonyme. Quand je songe au cinéma de Serge Leroy (ou à celui de certains petits artisans des années 70/80, les Jacques Deray, Pierre Granier-Deferre, Christopher Franck , José Giovanni, Daniel Vigne, etc.) , c’est toujours cette image de vieux livres de poche peu ragoûtants qui me vient à l’esprit. Pourquoi alors, me direz-vous, prendre la peine d’exhumer une de ces antiquités ? Tout bonnement parce que c’est un souvenir d’enfance. Cette histoire de gamins livrés à eux-même et menacés par un homme mystérieux m’avait marqué lorsque je l’avais découvert jeune. J’ai fait ce qu’il ne faut surtout pas faire : le revoir.

 

 

Force est de constater qu’Attention, les enfants regardent à d’abord été un roman de gare (dont le scénario est signé Christopher Franck, lui aussi spécialiste de ces « films de gare » Cf. l’année des méduses)  et qu’il n’est plus aujourd’hui que ce livre de poche jauni dont je parlais à l’instant, un objet condamné aux devantures des braderies de livres et auquel nul ne fera plus jamais attention.

Pourtant, si on se donne la peine de passer outre cet aspect vraiment vieillot (la mise en scène est anonyme et sans le moindre intérêt) ; le film n’est pas totalement inintéressant pour deux raisons.

D’une part, en filmant ce groupe de quatre gamins (assez odieux) livrés à eux-mêmes après qu’ils se soient débarrassés de leur bonne, Leroy tente de rompre avec un cinéma réaliste et psychologique pour nous emmener sur le terrain du conte. Il arrive parfois à faire flirter son film avec le fantastique, même si le trouble ne s’empare jamais totalement d’une œuvre qui restera toujours trop sage.

D’autre part, dans le même ordre d’idée, l’homme qu’incarne Alain Delon est intéressant (même si nous reviendrons sur l’interprétation que je trouve, par contre, calamiteuse). En éludant toute explication (on ne saura rien de lui, même pas son nom) et tout mobile à ses actes, il apparaît là encore comme une figure de conte, celle de l’Ogre terrifiant la marmaille. A de (trop) rares instants, il naît une sorte de climat un peu malsain qui aurait pu forcer l’attention si Leroy avait jouer cette carte à fond.

 

 

Malheureusement, nous sommes en France et la France est le pays du théâtre. Donc, lorsque Alain Delon dit sa première réplique, il la déclame comme Jean Gabin (en crispant les mâchoires) et semble sur la scène du Français. Tout le jeu de l’inénarrable bellâtre (avec chemise ouverte sur une croix en argent !) se résumera à cette insupportable théâtralité du cinéma de « qualité française ». Mais les enfants sont encore pires. On leur met dans la bouche des répliques d’adultes et on les fait singer ce qu’un scénariste pense représenter l’enfance. Mis à part la petite dernière qui est trop jeune pour jouer et qui s’en sort, les trois autres sont atroces, petits animaux savants dressés à répéter les répliques bien balancées des maîtres.

Mais là où réside surtout l’échec patent du film, c’est dans le « message ». Si Leroy s’était limité à l’aspect conte, ça n’aurait sans doute jamais été La nuit du chasseur (mais qui peut prétendre égaler ce film ?) , mais nous aurions été disposé à l’applaudir. Or voilà qu’il veut nous asséner du bon gros sens populaire et de la sociologie à deux sous. A cet égard (Montparnasse) , le début du film est totalement édifiant sur ce qu’il faut éviter avec les enfants : les sucreries, le coca-cola, les cigarettes et surtout, cette télé omniprésente qui déverse son flot d’images violentes.

Si les quatre moutards sont devenus des assassins irresponsables et incapables de faire la distinction entre le Bien et le Mal (tout se perd, ma bonne dame !) , c’est à cause du désengagement des parents (qui préfèrent leur travail à la vie de famille) et de la violence à la télé qui rend nos chères têtes blondes totalement idiotes. Ben voyons ! Je ne sais pas si c’est la même chose pour vous mais je ne regarde pas un film pour me voir infliger le programme électoral de Christine Boutin ! Ce moralisme rétrograde (Ah ! ces parents qui donnent aux enfants des prénoms aussi improbables que…Marlène ! on se demande que dirait Leroy face à nos Kevin, Laurie et Steven actuels !) est si déplaisant qu’on ne sait plus à quel degré prendre le mépris dont font preuve les gamins envers leur bonne espagnole…

En tout cas, il enrobe ce film d’une chape de plomb qui nous empêche d’y adhérer et qui le renvoie à la poussière dont nous l’avions déterré le temps d’une soirée…

 

 

 

 

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