Séance (2000) de Kiyoshi Kurosawa

 

 

Lui est bruiteur pour des documentaires, elle est médium et cherche un véritable travail. Ils forment un couple banal, sans joie excessive ni violents déchirements. Ils incarnent plutôt une fade routine sans éclat ni espoir d’une amélioration de leur condition. Jusqu’au jour où une fillette tentant d’échapper à son ravisseur se réfugie dans une caisse destinée au matériel de l’homme (Kôji). Que faire de ce corps étranger dans la maison ?

Rythme lent, fantômes enfantins, atmosphère oppressante : Séance s’inscrit parfaitement dans ce courant néo-fantastique japonais. Certains pourront même lui reprocher quelques effets à la Ring (montée du suspense, menace d’une apparition soudaine et, au dernier moment, une sonnerie de téléphone provoquant un arrêt cardiaque chez le spectateur) mais ça serait oublier un peu vite l’extraordinaire travail sur les codes du genre, l’intelligence de la construction d’une mise en scène misant tout sur le hors-champ et le climat général plutôt que sur les effets spéciaux et les litres d’hémoglobines déversés.

 

 

Du point de vue du genre, Séance se révèle souvent très flippant. La femme, Junko, de part son don médiumnique se trouve confrontée à des spectres dont on ignore tout (scène magnifique où elle voit une femme en rouge avec le visage flou, comme effacé, alors qu’elle vaque  à ses occupations de serveuse). De ce fait, Kurosawa arrive à créer une atmosphère angoissante en faisant de chaque lieu, de chaque recoin de mur une menace.

Dire qu’il utilise les apparitions des fantômes uniquement comme effets destinés à nous faire sursauter serait très réducteur. Il faut voir la manière dont le cinéaste joue avec l’espace, utilise la profondeur de champ (avec un simple jeu de lumière sur une porte en fond de plan, il arrive à faire monter la peur, à donner le sentiment d’un espace piégé) et la façon dont il recourt à des points de vue insolites pour nous déstabiliser (des raccords audacieux permettent de passer d’une caméra presque subjective –nous sommes à la place du personnage qui avance lentement en craignant de voir soudain surgir un fantôme- à des plans où l’on se retrouve placé du point de vue de l’éventuel danger –derrière la fenêtre ou derrière une porte entrebâillée-). A côté de cela, le cadre est d’une belle rigueur, ménageant sans cesse des angles morts permettant de suggérer une présence indésirable dans le hors-champ.

En se plaçant par moment du point de vue des morts (comme dans une des premières scènes où la caméra filme en plongée depuis le plafond une séance de spiritisme), Kurosawa enferme son couple dans cette maison qui finit par devenir menaçante. C’est là que le film devient encore plus passionnant car non content de jouer la carte du film d’épouvante très habilement ficelé mais assez classique, le cinéaste livre également une vision assez pessimiste du couple.

 

 

Ce que j’ai toujours aimé chez ce cinéaste vraiment passionnant, notamment dans Kaïro son meilleur film, c’est cette manière de parler du monde comme il va en s’appuyant toujours sur les codes des genres (en particulier le polar et le fantastique). D’une certaine manière, il est le fruit d’amours illégitimes entre John Carpenter et Antonioni ! Dans Kaïro, il montrait de façon frappante, derrière  une passionnante histoire de fantômes, la déshumanisation de nos sociétés contemporaines. Un vent de nihilisme soufflait sur ce récit où les progrès technologiques ne menaient finalement qu’à l’incommunicabilité et au désespoir le plus profond.

Dans Séance, la présence de cette fillette peut se lire comme l’aveu de l’échec d’un couple n’ayant pas eu cet enfant désiré. Ce spectre n’est peut-être que l’image d’une absence, d’un vide que rien n’est destiné à combler.

Sans révéler les détails du scénario, il y a dans ce film un jeu très habile sur le vrai et le faux. La médium voyant vraiment les fantômes lui tourner autour mais machinant néanmoins une fausse séance pour permettre la découverte du cadavre de la fillette. J’y vois une sorte de profession de foi de Kurosawa : mettre en scène de manière factice des évènements irrationnels (le recours aux codes du fantastique) pour néanmoins jeter un regard « vrai » sur notre monde aujourd’hui.

Ce va-et-vient permanent fait l’intérêt de cette œuvre. Et des manifestations surnaturelles des morts ou de cette vision sans concession sur la condition humaine aujourd’hui, on se demande ce qui fait le plus froid dans le dos…

 

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