La disparition de l'altérité
La belle personne (2008) de Christophe Honoré avec Louis Garrel, Léa Seydoux
A l’origine du film, une réflexion de Sarkozy, le plus inculte des présidents que la République ait jamais connu, se gaussant du fait qu’on puisse interroger les candidats au concours d’attaché d’administration sur La princesse de Clèves. « Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de la princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! » aurait dit avec l’arrogance du beauf moyen notre nouveau Badinguet.
La réponse la plus simple aurait été de rétorquer au président qu’un attaché est un fonctionnaire de catégorie A, assimilé cadre, et qu’en conséquence, il est fort peu probable d’en trouver « aux guichets » ! De plus, il ne paraît pas totalement absurde de demander un peu de culture à des individus voués à avoir certaines responsabilités (à moins qu’on ne les choisissent plus désormais que pour leur docilité à exécuter les basses œuvres gouvernementales, sans conscience ni remords. Des rafles de juifs sous l’Occupation aux expulsions actuelles des immigrés, ça c’est déjà vu !)
Christophe Honoré ne possède sans doute pas ce bon sens et a préféré en faire un film : tant pis pour nous !
Adapter la princesse de Clèves, c’est se confronter une fois de plus à la question de l’adaptation littéraire à l’écran, de la transposition. Or Christophe Honoré a beau « moderniser » l’intrigue du roman de madame de Lafayette, il ne fait que retomber dans les travers de feu Jean Delannoy, grand pourvoyeur de navets académiques ; et renouer avec la défunte « qualité française » d’antan. Bien entendu, l’académisme actuel n’est plus le même que celui d’autrefois (les chansons « pop » ont remplacé les mots d’auteur) mais tous ces tics « auteuristes » auxquels le cinéaste a recours depuis ses débuts dans la mise en scène (le soporifique 17 fois Cécile Cassard) ne sont rien d’autre qu’une nouvelle forme d’académisme.
Il est d’ailleurs intéressant que les remarques que faisaient Truffaut sur la manière dont les cinéastes de la « Qualité Française » traitaient l’enfance à l’écran s’appliquent fort bien à la façon dont Christophe Honoré montre les lycéens d’aujourd’hui. Depuis Les Sous-doués, je n’avais pas vu de représentation aussi artificielle de ce que peut être un lycéen aujourd’hui. Tous ont l’air d’être en doctorat de psychologie et s’expriment moins comme des adolescents que comme de petits « bobos » parisiens. Et ne parlons pas des rapports aux profs (un élève interpelle sa prof en plein cours pour lui demander si elle est amoureuse, Louis Garrel téléphone à un de ses élèves pour lui demander des nouvelles de sa cousine et conclut par un « je t’embrasse » tout à fait crédible…) ou du regard sur la salle de classe…
Mais vous allez me dire que l’art peut fort bien se passer du réalisme et qu’Honoré ne cherche pas à faire un portrait sociologique de la jeunesse d’aujourd’hui (il la fantasme davantage à son image) mais à retrouver l’essence du roman de madame de Lafayette.
Très bien.
Le problème reste quand même d’offrir une certaine crédibilité aux situations transposées à notre époque, non pas tant au niveau du tableau de la jeunesse actuelle qu’au niveau des personnages. Pour qu’il y ait passion, déchirements de cœur et violence amoureuse, il faut de l’altérité. Or le drame du cinéma d’Honoré, qu’il singe misérablement les films de la Nouvelle Vague (l’horrible Dans Paris) ou ceux de Demy (l’horrible Les chansons d’amour), c’est qu’il est incapable de filmer autre chose que du « Même », des figures archétypiques qui se déclinent toutes autour le même modèle (en gros, le petit bourgeois intellectuel).
C’est particulièrement flagrant dans La belle personne où tout et tous se ressemblent : les profs (Garrel) ressemblent aux élèves, ils fréquentent le même café et se parlent comme des amis,les barrières n’existent pas (Garrel couche aussi bien avec ses collègues plus âgées qu’avec ses élèves), les histoires d’amour sont toutes semblables, qu’un garçon aime une fille ou un autre garçon (voir la manière absolument grotesque mais tellement « branchée » dont Honoré réintroduit une histoire homo dans son film !). Et Honoré de filmer tout cela comme si c’était « normal ».
Attention, en introduisant la notion ô combien savonneuse de « normalité », je ne cherche surtout pas à ramener le film sur un plan « moral ». Au contraire, le film aurait pu être vraiment intéressant s’il avait pris en charge la figure de l’Autre pour montrer qu’un prof qui tombe amoureux d’une élève ou qu’un lycéen qui découvre son attirance pour les garçons ne sont pas des choses anodines, qu’il y a des barrières à franchir et qu’il faut se confronter à du radicalement Autre en se coltinant le regard de la communauté. En prenant la peine de véritablement distinguer ses personnages (un prof n’est pas un élève, une liaison hétérosexuelle n’est pas une liaison homosexuelle : pardon pour les tautologies mais ça ne paraît pas évident au cinéaste !), Honoré aurait pu se confronter à la douleur de la passion qui brûle et qui transgresse, au véritables sentiments amoureux. Là, il se contente de son cinéma de poses et de tics : les jeunes tirent des gueules de circonstance, les rebondissements de l’intrigue semblent totalement plaqués (la bagarre, le suicide…) et l’on ajoute artificiellement une ridicule scène chantée pour rappeler les chansons d’amour.
On ne sent rien qui passe chez les acteurs : Léa Seydoux est plutôt pas mal mais elle se complaît dans l’air buté que lui impose son mentor, Louis Garrel ne cesse de singer Léaud et commence à devenir assez irritant (ce très talentueux garçon devrait élargir ses horizons sinon il va finir par tenir toujours les mêmes rôles !) et Grégoire Leprince-Ringuet a toujours le charisme d’un topinambour.
Une fois de plus, La belle personne est du cinéma estampillé « branché » et d’ « auteur » (voyez déjà tous les articles dithyrambiques) alors que c’est l’exemple parfait d’un nouvel académisme précieux et ridicule, où toute figure de l’Altérité a disparu au profit du grand « Même » moderne…