La fièvre dans le sang (1961) de Elia Kazan avec Natalie Wood, Warren Beatty, Barbara Loden

 

Elia Kazan est un cinéaste que je connais très peu et que je n’ai jamais, jusqu’à présent, apprécié outre mesure. Jusqu’à hier soir, c’était vraiment pour moi le cinéaste des rendez-vous manqués.

Vu dans le cadre d’une sortie scolaire à la fin du collège, America, America est sans  doute l’un de mes pires souvenirs de jeune spectateur tant le film m’avait paru, à l’époque, ennuyeux et soporifique à mourir.

C’est encore en classe (au lycée, cette fois) qu’une professeur d’anglais nous fit découvrir Un tramway nommé désir qui ne m’a pas plus emballé (globalement, j’ai toujours détesté les films présentés en classe !). Je considère d’ailleurs que je ne l’ai toujours pas réellement vu !

Plus tard (mais encore jeune), j’ai tenté, réputation sulfureuse oblige !, de regarder Baby doll qui m’a aussi passablement déçu et lorsque mon goût cinéphilique a commencé à réellement se forger, Kazan m’apparaissait alors comme la quintessence du cinéaste estampillé Positif alors que je ne jurais que par Les cahiers du cinéma. Du coup, je n’ai jamais été vraiment mettre le nez dans l’œuvre d’un cinéaste ayant, en plus, un sale réputation politiquement parlant (le vilain maccarthyste dénonçant les communistes).

Que les fans du cinéaste ne s’offusquent pas de cette introduction cinglante : j’ai bien conscience de prêcher par ignorance et je dois reconnaître que la découverte de Splendor in the grass (la fièvre dans le sang) m’a emballé et donné envie de réviser mon jugement sur le bonhomme.

Kansas, 1928. Bud Stamper (Warren Beatty) file le parfait amour avec la ravissante Deanie (Natalie Wood, belle à damner tous les saints de la terre !) dont la famille est moins fortunée. Tout irait pour le mieux si les familles respectives ne mettaient pas perpétuellement en garde les tourtereaux contre le risque d’une liaison trop « poussée » et leur conseillaient de remettre à une période postérieure au mariage des ébats dont l’idée ne cesse de les tourmenter. Tourments qui empoisonnent leurs rapports et les amèneront à rompre…

Vous allez me dire que je fais une fixation sur Christophe Honoré mais la fièvre dans le sang me paraît l’antidote parfait à La belle personne. Car n’y a pas ici un plan qui ne suinte la passion dévastatrice, le flot tempétueux des désirs, l’attirance et la peur pour le sexe, véritable « trou noir » (si j’ose dire !) du film qui entraîne et englouti les personnages jusqu’au fond d’eux-mêmes. 

Kazan fustige ici tous les obstacles qui se dressent entre les deux jeunes amants : la famille, qui perpétue de génération en génération un puritanisme étouffant, et plus généralement toutes les institutions « oppressives » auxquelles se heurtent Bud et Deanie, que ce soit l’école (avec la professeur qui évoque l’idéal chevaleresque et la tempérance), l’église, etc. C’est tout un climat (celui d’une certaine Amérique qui va disparaître avec le crack boursier de 1929) que restitue habilement Elia Kazan. Cadre qui lui permet de se livrer à une analyse introspective de ses deux personnages principaux.

Connaissant le goût de Kazan pour des dramaturges comme Tennessee Williams, on se doute que la fièvre dans le sang est un film hautement psychologique, qui décortique dans les moindres détails les traces du désir et de la pulsion chez ses personnages (un peu d’ailleurs comme dans Un tramway nommé désir). On reconnaît aussi sa direction d’acteurs très « Actors studio » et les deux comédiens n’hésitent pas à en faire des tonnes (j’avoue que le jeu outrancier de Warren Beatty m’a quand même un peu gêné).

Pourtant, à l’inverse d’un beau film comme La fureur de vivre (voilà que je préfère désormais Kazan à Ray : c’est le monde à l’envers !), rien n’apparaît ici comme plaqué artificiellement. Il n’y a pas de « discours » sur la jeunesse et la génération des parents n’est pas caricaturée outre mesure (voir la très belle scène de retrouvailles entre Deanie et sa mère un peu paumée qui lui explique qu’elle l’a élevée du mieux qu’elle a pu, comme sa propre mère l’avait élevée).

De la même manière, tout ce qui relève de la psychologie est incarné avec une force incroyable au cœur même des personnages. Il faut voir cette scène magnifique où Natalie Wood, en train de perdre la tête, court à perdre haleine dans un paysage somptueux de rivières et de torrents. Les flots furieux des eaux semblent être une projection extérieure des tourments de la jeune femme et le spectateur sent soudain l’attrait que le vide peut exercer sur elle.

La mise en scène traduit ainsi physiquement l’enfermement des personnages dans une structure sociale étouffante (acteurs souvent filmés derrière des grilles, des vitres…) et leurs pulsions. Le film parle très crûment du désir sexuel, des passions charnelles sans jamais être vulgaire ou racoleur. Kazan parvient à un équilibre rare et sait garder sans cesse un sens de la nuance qui bouleverse complètement lorsque arrive la magnifique scène finale.

Gageons qu’avec ce film, le processus de réconciliation avec ce cinéaste est en très bonne voie...

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