La pitié dangereuse
Whore 2 (1993) de et avec Amos Kollek
Amos Kollek restera t-il l’homme d’un seul film ? Plus je découvre son œuvre et plus je le crains car j’avoue n’avoir jamais retrouvé la grâce et l’équilibre de Sue perdue dans Manhattan, sa plus grande réussite. Le réalisme glauque et sordide de Fiona fonctionnait par intermittence mais après, c’est la débandade et des films comme Bridget ou Queenie in love ne présentent pas un grand intérêt. Nous ne sommes même pas en mesure de parler de « déclin » puisque Whore 2 (quel titre !) est antérieur à Sue et se révèle être le plus mauvais des cinq films que j’ai vu de ce cinéaste.
Whore (la putain), premier du nom, est un film peu mémorable de Ken Russell qui n’a d’ailleurs pas grand chose à voir avec l’œuvre de Kollek. Il s’agit ici de la traditionnelle histoire d’un écrivain qui décide de se plonger dans un milieu (celui de la prostitution) afin d’écrire son grand œuvre. Nous voyons donc Kollek (qui s’est donné lui-même le rôle de l’écrivain) interroger un certain nombre de péripatéticiennes pour les entendre évoquer leurs enfances difficiles et les raisons qui les ont poussées sur le trottoir.
Le parti-pris du film, c’est d’avoir mêlé à des comédiennes de véritables prostituées afin, je suppose, de garantir la valeur « documentaire » du projet. Or c’est là, à mon avis, que Kollek échoue totalement et n’accouche que d’une œuvre bancale, oscillant entre le docu-drama et une simili fiction en ne convainquant dans aucun des deux domaines.
Côté documentaire, c’est trop court. Avec ses quelques questions bateaux, le cinéaste ne retient finalement que deux, trois banalités sociologiques et ne parvient jamais à incarner la parole de ces femmes. Enfance malheureuse, abus sexuels de la part du père, besoin d’argent…rien de plus que ces tartes à la crème qui n’apprennent rien. Le réel ne s’explique pas par deux ou trois souvenirs et quelques plans complaisants sur une prostituée qui craque et pleure. Mais rien ne sera dit dans Whore 2 sur le quotidien de ces femmes, sur leur rapport à l’argent, aux hommes, au sexe. Rien non plus sur le type de société qui les pousse à en arriver là. Je sais bien que nous parlons du « plus vieux métier du monde » mais dans une civilisation où ne règnent que l’appât du gain, la consommation à tout crin et le règne sans contrepartie du fric, on peut se demander si le sort de ces putains n’est pas similaire à celui d’une grosse majorité d’esclaves salariés et si faire quelque chose qu’on n’aime pas juste pour survivre avec un peu de pognon n’est pas le seul horizon qu’on nous propose à tous désormais (surtout aux jeunes avec ce fabuleux « Contrat Pourri d’Exploitation » !). Passons.
Côté fiction, ce n’est pas la panacée non plus et c’est même plutôt pire. Sue arrivait justement, par le biais de la fiction, à reconstruire un certain pan du Réel et offrait un regard constamment juste sur les paumés du petit matin new-yorkais. Ici, Kollek se contente de reconstituer quelques saynètes assez grotesques (les passes avec toutes sortes de clients allumés) et de terminer par une histoire d’amour et de vengeance totalement nulle.
Mais finalement, le plus agaçant est certainement le point de vue du film. On a loué, à juste titre, le regard compassionnel et chaleureux de Kollek dans Sue. Mais ce qui fonctionnait, c’est que cette compassion n’avait rien d’ostensible. Ici, Kollek rompt l’équilibre en se mettant lui-même en scène et semblant à chaque plan dire : « ces femmes sont incomprises mais moi, je vais prendre le temps de les écouter et de les comprendre ». Il va même jusqu’à se donner le rôle du Saint Bernard qui ne lésine pas sur le fric pour tirer d’affaire une de ces filles de joie (bien sûr, c’est l’actrice qu’il « sauve »). Cette manière de mettre constamment en avant sa générosité, sa capacité d’écoute et de compréhension est proprement insupportable. Et même assez dégueulasse lorsqu’il se voit comme vengeur venir faire la peau aux salauds ayant tué la belle à qui il s’était attaché.
Au total, un film qui ne dit rien, qui ne montre rien si ce n’est une certaine prétention d’un cinéaste qui se voudrait aussi bien assistant social que psychologue et prêtre !