Toast à Jean-Pierre Mocky
L’étalon (1969) de Jean-Pierre Mocky avec Bourvil, Francis Blanche, Michael Lonsdale, Jacques Legras
1969, année érotique : Jean-Pierre Mocky décide de se préoccuper du plaisir des femmes mariées et de l’ennui qui les ravage lorsque leurs maris sont occupés à jouer aux boules ou à laver leurs voitures. Pour cela, il fait appel à Bourvil, jamais avare de bonnes idées lorsqu’il s’agit de trouver un moyen d’échapper à la malédiction du travail (en pillant les troncs d’église dans le succulent Un drôle de paroissien) ou pour lutter contre l’abrutissement massif opéré par la télévision (création de commandos s’attaquant aux antennes de réception dans la grande lessive). Dans l’étalon, Bourvil est vétérinaire et prend le parti d’offrir à ces dames délaissées un étalon désintéressé qui se contentera uniquement de les satisfaire sexuellement (surtout pas de sentiments !). Délaissons la morale rigide jusqu’alors en vigueur pour écouter la nature et satisfaire nos désirs.
Je l’ai souvent laissé entendre sans développer outre mesure : je considère Mocky comme le meilleur artisan de comédies françaises (mais ses films « sérieux » ne sont pas moins passionnants et j’aime infiniment Solo et l’albatros) . Bien sûr, on pourra remettre en question le côté parfois très brouillon de ses mises en scène mais c’est finalement dans ses approximations que Mocky nous touche le plus. Qu’importent les moyens pour atteindre ses cibles : il vise juste. A l’inverse de cette comédie française actuelle contre laquelle je ne cesse de lancer de saines diatribes, de ces films qui suintent le conformisme le plus gluant, l’accroupissement honteux face à tous les motifs de dégoûtation de notre époque ; Mocky utilise le rire et la farce comme une arme contre tous les pouvoirs, toutes les institutions et le fait avec une verve à nulle autre semblable. Comme un bon nombre de ses œuvres, l’étalon est monté à la hue-dia et ressemble parfois à un joyeux foutoir mais Mocky arrive à nous entraîner dans sa frénésie et son délire. Comme le dit fort justement Noël Godin, un des principes du cinéma de Mocky est que « le niveau d’incandescence général d’un récit ne doit jamais baisser d’un poil de grenouille ». Et pour porter un toast à notre entarteur préféré (et le féliciter de son septième « attentarte » réussi contre l’odieux BHL), continuons de le citer lorsqu’il pointe les mille et une raisons de prendre son pied devant un film du cinéaste : « cataractes de troisièmes rôles complètement toctombes, saillies non-stop contre les sabots-racloirs dirigeants et contre les serviettes-éponges dirigées, lâcher continuel d’infirmes et de maniaques de tout tonneau, rafales de calembours calamiteux et de divagations verbales diverses, chorégraphies de chassés-croisés grotesques, scenic-railways de gags de gâchis ou d’agression et d’intermèdes gloupitamment chantés, hommages assidus aux postérieurs nus de quinquagénaires et aux anomalies sexuelles de pointe… »1
Dans L’étalon, les amatrices pourront effectivement se régaler du postérieur de Francis Blanche incarnant ici un hilarant percepteur des impôts catholique. Le reste est à l’avenant : piques continuels à l’égard de la maréchaussée (Jacques Legras se disant le temps d’un soir « fasciste » et réjouissant ainsi le commissaire Lonsdale répondant du tac au tac : « ça nous fera une voix de plus aux prochaines élections »), de l’armée, des politicards (le film se termine de manière épique et totalement rocambolesque à l’assemblé nationale). Mais comme je le disais à propos de Comencini, Mocky ne cherche pas à flatter la majorité silencieuse en l’invitant à se moquer facilement de ses personnages mais lui tend un miroir grinçant. Et c’est vrai qu’on rit beaucoup du portrait de ces français moyens en vacances, avec la marque des boules de pétanque sur l’épaule de Jacques Legras (qui n’a pas bronzé à cet endroit là !), qui ne pensent qu’à leurs bagnoles et à consommer.
Au milieu de cet univers déjanté officie Bourvil, impérial (à part chez Melville, je pense que l’acteur n’a jamais été aussi bon que chez Mocky). Il est celui qui met à nu l’hypocrisie de la morale et se présente en tant qu’épigone de W.Reich ( tous les maux du monde viennent du refoulement sexuel). Son entreprise prend des proportions de plus en plus délirante (voir les stratagèmes utilisés pour ne pas éveiller la méfiance des maris cocus) et j’aime beaucoup sa proposition de transformer l’armée en un contingent d’étalons oeuvrant pour l’amour plutôt que pour la guerre (à ce moment là, je suis prêt à faire mon service militaire !).
Aujourd’hui, Mocky tourne encore mais ses films ne sont distribués que dans une seule salle à Paris : la sienne (le mythique Brady). C’est totalement injuste alors profitons de cette note pour rendre un hommage cent fois mérité à ce vaillant guérillero cinématographique et à ses justes croisades qui n’ont pas fini de nous réjouir…
1 On trouvera l’article consacré à Mocky ainsi que toutes les percutantes chroniques cinématographiques de l’entarteur dans le formidable recueil édité par Yellow Now : « Godin par Godin ».