Wassup rockers (2005) de Larry Clark

 

 

Après un mois de mars cinématographique calamiteux (seul Truman Capote nous a un peu intéressé), je suis au regret de vous annoncer que le mois d’avril ne s’annonce pas folichon non plus. Raison de plus pour ne pas manquer le nouveau film de Larry Clark, cinéaste aussi passionnant qu’irritant mais qui a le mérite de ne pas laisser indifférent.  En fait, son cinéma est traversé par deux forces contraires et naviguent entre deux eaux que Clark ne maîtrise pas de la même manière. D’un côté, peut-être en raison de sa formation de photographe, il est époustouflant lorsqu’il s’agit de filmer les adolescents, les inscrire dans un environnement précis et les regarder vivre de manière quasi-documentaire. Par contre, dès qu’il s’aventure sur les chemins de la fiction, son cinéma s’avère beaucoup moins convainquant. Prenez le sulfureux Ken Park, son pénultième film sorti en salles : lorsque Clark se concentre sur les corps des ados, sur leur langue, leurs désirs et leurs angoisses, il est génial. Dès qu’on sort de l’aspect documentaire pour aborder les rives de la fiction (les rapports avec les adultes), il grossit le trait (tous les personnages qui ne sont pas des « kids » sont caricaturaux) et se plante. D’ou le caractère bancal de tous ses films (même le plus réussi selon moi, Kids, a été attaqué pour cette manière d’introduire une fiction douteuse centrée autour d’un personnage atteint par le virus du sida).

 

 

Wassup rockers n’échappe pas à cette règle. Cette fois, Larry Clark opte pour le portrait d’un petit groupe d’ados « latinos » de South Central, un des ghettos de Los Angeles. Lorsqu’il se concentre sur cette petite bande, la note est toujours juste et la chronique a le mérite de nous épargner les clichés liés aux minorités ethniques dans les grandes villes (drogue, violence, délinquance…). Il ne s’agit pas de se voiler la face puisque le film commence par l’exécution sommaire et inexpliquée d’un gosse de l’âge de nos « skateurs » en pleine rue. La violence existe, elle est omniprésente. C’est dit : on peut passer à autre chose.

Clark se met alors à décrire une journée ordinaire de ces teen-agers des quartiers défavorisés. Skate, drague et rock composent un programme qui ne doit pas différer énormément de celui d’une majorité d’ados dans le monde (même si le sport remplace parfois la musique).

L’approche de Clark est quasi-documentaire : les acteurs jouent leur propre rôle et doivent avoir une vie sensiblement identique à celle décrite par le film. Sauf qu’à l’inverse des prostituées de Kollek (voir ma note sur Whore 2) , on se moque de savoir si on est dans le « réel » ou dans la « fiction » : c’est la manière dont Clark filme les corps (de manière quasi tactile, s’attardant sur les moindres parcelles de peau en très gros plans) et les inscrit par la mise en scène dans leur environnement qui sonne juste. 

On pense un peu au Pialat de Passe ton bac d’abord face à ce tableau d’une jeunesse un peu glandeuse mais plutôt sympathique. Tout est bien vu : le langage, les comportements (entre les petits séducteurs qui les tombent toutes et celui qui se prend sans arrêt des râteaux), les codes vestimentaires (qui donnent lieu à des affrontements avec ceux qui ne les partagent pas, comme ces afro-américains)… Wassup rockers épouse ce rythme à la fois nonchalant et débordant d’énergie de l’adolescence. Et même pour quelqu’un comme moi qui considère le skate comme aussi intéressant que la vie de ces misérables fumiers qui boursicotent du matin au soir ; je dois reconnaître que j’ai été séduit par la manière explosive dont Clark filme ces gamins sur leurs planches à roulettes (parfois de manière presque sadique, comme dans cette longue séquence où ils tentent de sauter du haut d’un escalier et se ramassent pratiquement à chaque fois !).

 

 

Le problème, c’est quand la fiction s’emmêle et que se profile dans son ombre un certain « discours ». Nos skateurs décident effectivement d’aller à Beverly Hills pour s’adonner à leur loisir préféré (c’est là où se trouve le fameux escalier). Avant de se faire appréhender par un flic (scène très drôle et plutôt bien vue où sans insister, Clark montre le lot des humiliations quotidiennes que doivent subir ces jeunes que leurs origines stigmatisent de toute manière), ils ont fait la connaissance de deux petites bourgeoises blanches qui les invitent dans la propriété luxueuse (c’est peu dire !) d’une des deux.

Outre le caractère hautement improbable de telles invitations qui se poursuit par un moment encore moins crédible où nos lascars s’invitent dans une soirée mondaine huppée sans être le moins du monde interpellé ; on sent surtout la volonté du cinéaste de souligner les différences de classes, de montrer que chacun vit dans son ghetto (même les poulettes richardes étouffent dans leur milieu). Le discours n’est évidemment pas faux mais il est amené par des moyens totalement artificiels et par des rebondissements ratés dans leurs outrances (un épigone de l’ordure Charlton Heston qui tire à vue sur les gamins, des morts accidentelles…)

 

 

Dans ces moments, on sent que Clark quitte sa position d’entomologiste pour parler à la place des ados. Il se veut l’un des leurs pour dénoncer les barrières qu’on érige entre eux et le monde, pour stigmatiser la xénophobie dont ils font l’objet et les brimades qu’ils doivent subir. Nobles intentions mais on quitte alors le domaine du cinéma et cela ne nous intéresse guère.

 

 

Ceci dit et malgré cette réserve, on aura vu des corps singuliers exister très concrètement sur un écran pendant une heure quarante cinq .

Ce n’est pas rien.

 

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