Réaction en chaîne
C’est le bouquet ! (2002) de Jeanne Labrune avec Sandrine Kiberlain, Jean-Pierre Darroussin, Dominique Blanc, Mathieu Amalric, Maurice Bénichou, Jean-Claude Brialy, Dominique Besnehard
Quels sont les points communs entre Jeanne Labrune, Brigitte Roüan et Danièle Dubroux, mis à part que ce sont trois femmes cinéastes ? Toutes trois ont débuté par des films assez sombres et crus explorant de manière assez intéressante les différents aspects du désir féminin (Border line pour DD, Post-coïtum , animal triste pour BR et Si je t’aime, prends garde à toi pour JL).
Puis, chacune d’entre elles s’est décidée à se reconvertir dans la comédie d’auteur (où œuvrent également des gens comme Pascal Bonitzer et Sophie Fillières), faisant la part belle à la psychanalyse et au jeu sur le langage. Pas sûr que nous ayons gagné au change car si Dubroux a plutôt réussi son Journal du séducteur, nous avons également du subir le médiocre Eros thérapie (encore Dubroux) et les épouvantables L’examen de minuit (toujours Dubroux) et Travaux (Roüan) .
Pour Jeanne Labrune, heureusement que je note tout pour pouvoir me permettre de vous annoncer que j’avais trouvé pas trop mal Ca ira mieux demain à sa sortie (aujourd’hui, je n’en ai plus le moindre souvenir) . J’avais également totalement oublié qu’elle avait réalisé depuis un Cause toujours ! dont je ne sais plus rien. Bref, lorsque l’oubli menace une œuvre entière, ce n’est pas bon signe (remarquez, ce n’est peut être qu’un mauvais signe pour moi qui suis en train de perdre la mémoire !) et on sent se profiler la relégation dans la catégorie « ventre mou » du cinéma français dont je vous ai parlé plusieurs fois (vous, mes fidèles trois lecteurs !) .
C’est le bouquet ! est donc une comédie, une fantaisie comme l’atteste le générique et un extrait d’un film de Buster Keaton (lourd patronage). Le principe en est simple : à partir d’un fait totalement anodin (un coup de téléphone matinal d’un ancien ami pas vu depuis 15 ans qui perturbe la vie d’un couple), comment les mots s’emballent et provoquent une réaction en chaîne. Ce coup de fil est le déclencheur d’une série de confrontations verbales et de remises en question qui poussent Jean-Pierre Darroussin a quitter son boulot (une start-up dirigée par un odieux boursicoteur interprété par Amalric). Un peu à la manière du récent Gentille de Sophie Fillières, Labrune pousse chacune des situations du film jusqu’aux confins de l’absurde en jouant sur tous les sens des mots. D’ou le même sentiment d’artificialité et le caractère un peu vain du film (C’est le bouquet ! est néanmoins largement supérieur à Gentille, moins prétentieux).
En construisant (de manière assez habile, d’ailleurs) tout son film sur les dialogues, Jeanne Labrune peine à trouver un rythme de croisière et s’essouffle à pédaler dans du vide (des personnages qui ne sont que des pantins, une mise en scène illustrative…). Alors on sent quelques piques contre une certaine bourgeoisie parisienne (oui mais en même temps, les références culturelles du film le destinent en priorité à cette bourgeoisie), contre l’absurdité du monde du travail (oui mais qui croira à cette entreprise hyper clean avec ces figurantes tout droit sorties d’une sitcom de chez AB production ?) , contre l’horreur économique et la monstruosité de la « flexibilité » prônée par le libéralisme (oui mais qui s’apitoiera sur le sort d’un travailleur « précaire » -Darroussin- qui habite dans un 38 pièces-cuisine en plein centre de Paris ?). La cinéaste peine à trouver sa voie (et sa voix) entre la pure mécanique du comique langagier qui dérape et la volonté d’ancrer son film dans l’époque (sorti en 2002, on continue néanmoins à parler en francs dans le film!).
Reste quelques moments assez drôles (un protège-slip en plastique qui provoque une catastrophe !) et les comédiens. Sandrine Kiberlain est une actrice au charme fou et elle est ici parfaite, campant de manière drolatique cette bourgeoise pleine de bons sentiments et éprise de justice sociale. Dans le rôle de son mari, Darroussin est aussi très bien, comme d’habitude. Les seconds rôles (Brialy, Blanc, Amalric, Bénichou) font leur boulot sans être transcendants. Seul Dominique Besnehard se révèle irrésistible le temps d’une séquence où il se fait passer pour un valet de pied.
Bref, le résultat est une comédie « bobo » assez anodine sans être satanique. Jeanne Labrune a fait mieux avant et on espère sincèrement qu’elle fera mieux par la suite.