"Putain de famille !"
Serbis (2008) de Brillante Mendoza
Ce n'est pas la première fois qu'un film prend naissance dans le cadre d'un cinéma porno. Même si ce genre d'endroit a pu fournir matière à une méprisable pantalonnade (Si vous n'aimez pas ça, n'en dégoûtez pas les autres avec l'équipe du Spendid), on se souvient de la tentative maladroite de Jacques Nolot (La chatte à deux têtes) ou le plus réussi Simone Barbès ou la vertu de Marie-Claude Treilhou (et je ne parle pas des films qui, de Taxi driver à Seul contre tous, contiennent une scène dans des salles de ce genre !).
Ce qu'il y a d'intéressant dans Serbis, c'est la manière dont Brillante Mendoza utilise ce lieu comme élément clos (la famille et les habitués constituant une sorte de petit microcosme) et totalement « ouvert ». A ce titre, la première scène est assez significative : une jeune fille, très belle, sort de la douche et se sèche devant son miroir. Les bruits extérieurs de la ville, la configuration des lieux s'opposent à l'idée traditionnelle que l'on peut se faire d'une salle de bain et de l'intimité qu'elle doit offrir. La jeune fille semble offerte à tous les regards (la caméra la « mate » plus qu'elle ne la filme) et le spectateur réalise, au bout de quelques instants, qu'elle est effectivement reluquée par son petit neveu...
La force de Serbis tient dans cette manière de passer d'un monde clos et confiné (le cinéma s'appelle d'ailleurs le « Family », il n'est pas autorisé à tout le monde) à des ouvertures vers d'autres horizons. Il subsiste toujours une tension entre une volonté d'intimité (ces corps qui se recherchent dans l'obscurité d'une salle de cinéma) et un regard toujours « intrusif » de l'extérieur (toujours le petit garçon qui regarde ces étranges ballets érotiques ou encore cette chèvre qui fait irruption dans la salle et oblige à allumer les lumières).
Dans sa mise en scène, Mendoza navigue sans arrêt entre le «montré » et le « caché ». Le caché, ce sont les histoires familiales dont nous saisissons les enjeux par bribes (la matrone qui dirige l'entreprise est en train d'attaquer son mari qui s'est fait la belle pour une autre femme) et les nœuds sentimentaux complexes qui relient les personnages (l'annonce d'une grossesse qui trouble la famille).
Le « montré », c'est cette manière dont la mise en scène (très physique, entièrement tendue par l'énergie d'une caméra portée à l'épaule) ne recule devant aucuns détails crus du quotidien de cette chronique. Tout y passe : le sexe (avec une scène de fellation non simulée), bien entendu, mais également les visions les plus sordides, que ce soit celle de toilettes bouchées inondées par une eau plus que douteuse ou celle d'un furoncle éclaté en plan rapproché (gloups !). Pour ma part, j'avoue que c'est ici que se situe ma principale réserve : je trouve le film un brin trop complaisant dans le glauque et le sordide.
Néanmoins, si nous supportons ces visions, c'est que le cinéaste parvient à rendre extrêmement vivant son tableau. A ce titre, il faut noter l'extraordinaire travail sur le son et cette permanente cacophonie venue de la ville (au fait, je ne vous l'ai pas dit, nous sommes à Angeles, aux Philippines) qui appuie d'une manière très convaincante cette sensation de porosité permanente entre le « dedans » et le « dehors ». Même dans le cadre de scènes intimes et confinées, la rumeur de la ville permet au hors champ de ne jamais disparaître.
De la même manière, si la mise en scène semble rudimentaire (l'aspect « reportage » que confère la caméra portée et qui fatigue parfois un peu), il y a quand même un jeu assez intéressant sur l'espace et la façon dont le cinéaste dispose ses personnages dans cet espace (une fois de plus, les jeux de regards très adroits permettent de faire éclater un cadre assez étouffant).
Energique, agaçant, exubérant, cru et parfois presque repoussant, Serbis a le mérite d'être un film vivant. Conclusion sans doute banale mais à une époque où le cinéma devient de plus en plus formaté, manufacturé et constipé, ça n'est pas rien...