Carnet de notes pour une Orestie africaine (1970) de Pier Paolo Pasolini



Fin des années 60, Pasolini se rend en Afrique pour faire des repérages pour un prochain film. Après Œdipe roi et Médée, il souhaite à nouveau se tourner vers l'Antiquité grecque  en adaptant l'Orestie d'Eschyle. Le film ne se fera pas mais des quelques images documentaires qu'il a pu rapporter d'Afrique, le cinéaste fera un essai assez caractéristique de la manière dont il envisage son art à cette époque.

Dans un premier temps, Pasolini filme des lieux et les habitants, en imaginant que ces visages anonymes pourront devenir les personnages de son film (chez cette femme, il voit Clytemnestre, l'épouse homicide, tandis qu'un autre visage lui fait penser à Agamemnon, etc.). Il affirme sa volonté de faire un film « populaire », où le sous-prolétariat qui lui est cher (même si le peuple africain supplante ici celui d'Italie) tiendrait la vedette. La manière dont Pasolini capte ces corps et visages dans des paysages désolés renvoie directement à ses œuvres de fiction et nous plonge immédiatement dans son univers.

Ce mélange de réalisme et d'immersion dans le mythe est sans doute ce qui touche le plus dans ce Carnet de notes pour une Orestie africaine

Un petit montage de ces images de repérages est ensuite montré, à Rome, à un parterre d'étudiants d'origine africaine. Pasolini énonce les intentions de son film : pour lui, l'Orestie   d'Eschyle marque symboliquement le début de la démocratie athénienne. En donnant raison à Oreste qui vengea son père, la déesse Athéna scelle un ordre nouveau (de droit et de justice) et change les Furies (ou Erinyes) des temps anciens en Euménides, déesses bienveillantes d'Athènes. Dans ce récit mythique, Pasolini voit une métaphore de la situation de l'Afrique du début des années 70, débarrassée de l'âge des ténèbres dans lequel elle était plongée (l'époque de la colonisation) et accédant enfin à la démocratie (même si le cinéaste a bien conscience du côté « formel » de cette démocratie et du nécessaire travail des peuples pour donner corps à cette coquille vide).

Il soumet donc son interprétation aux étudiants qui ne vont pas tous dans son sens : certains pensent déjà en habitant d'une nation et réfute l'idée de tribu tandis que d'autres évoquent-, non sans un certain a-propos, la diversité africaine (de la Méditerranée au sud de l'Afrique, rien de semblable).

Ces objections, ces discussions semblent jouer un rôle moteur pour le cinéaste qui repart dans sa réflexion (je ne l'ai pas précisé, le film est moins un documentaire qu'un essai où le cinéaste réfléchit, à partir d'images documentaires, à son art et sa méthode), cherchant à trouver des métaphores.

En mineur, je trouve que ce Carnet de notes concentre toutes les qualités et tous les défauts du cinéma de Pasolini. Les qualités, je les ai évoquées plus haut (mélange de réalisme et de mythique, poésie qui naît du sordide...). Pour les défauts, il s'agit certes d'un sentiment très personnel, mais j'ai toujours trouvé que ce « cinéma de la poésie » était presque trop conscient de ses métaphores. D'une certaine manière, Pasolini cherche toujours à faire « sens » et l'on frise parfois l'indigestion sémiologique qui dessèche en partie certains de ses films (pas tous et pas systématiquement, mais un peu quand même !).

Dans le film, ça se traduit soudainement par une longue séquence, assez soporifique, où le cinéaste imagine un film chanté par des musiciens noirs et accompagné par un orchestre de jazz (symbole du prolétariat exploité américain, capable d'incarner le cœur antique de la tragédie).

Encore une fois, cette volonté « didactique » se mêle avec un attachement fervent à la terre et aux hommes qui la travaille. Le sous-prolétariat filmé par Pasolini devient tout de suite mythique et c'est dans sa beauté que réside la poésie de ses films (souvenons-nous d'Accatone)

L'Orestie ne deviendra jamais un film mais les paysages africains, à la fois splendides et « monstrueux » auront suffisamment d'impact sur le cinéaste poète pour qu'il y revienne et nous offre ses Mille et une nuits...

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