Le plus grand cirque du monde (1964) d'Henry Hathaway avec John Wayne, Claudia Cardinale, Rita Hayworth



Le film commence par un plan de John Wayne regardant vers le haut d'un chapiteau (vide) puis le sol où gît un mannequin. Un courant d'air leste d'emblée le film du poids du passé qu'il se remémore : passé de Matt, l'impresario du cirque, qui a vu s'enfuir autrefois la femme (Lili) qu'il aimait et dont il a élevé la fille Toni (la divine Claudia Cardinale) ; passé également d'un cinéma classique qui vit là ses derniers feux.

Il est d'ailleurs assez symptomatique qu'Hathaway fasse ici appel à de grandes stars vieillissantes (l'apparition au mitan du film de la grande Rita Hayworth est plutôt émouvante) et qu'il les montre comme telles : comme Clint Eastwood dans Bronco Billy, le vieux John Wayne est devenu une attraction foraine, les scènes du Far West et les attaques de diligences n'existent désormais plus qu'autour d'une piste de cirque. 

Henry Hathaway n'a sans doute jamais été un immense cinéaste (encore qu'il restera toujours cher à mon cœur pour avoir tourné le splendide Peter Ibbetson dont je vous parlerai d'ici peu, mais sous d'autres cieux) mais a toujours fait preuve d'un solide métier, que ce soit dans le western (le Cinq cartes à abattre de notre enfance) ou le drame flamboyant (Niagara avec Marilyn Monroe). Avec Le plus grand cirque du monde, on sent que le classicisme (vous avez vu, je parle de classicisme, de Clint Eastwood sans parler de « fascisme » -et pourtant, John Wayne... Je plaisante, Vincent !-et sans m'énerver...) s'essouffle et cherche d'autres moyens pour séduire un spectateur désormais conquis par l'opium domestique de la télévision.

Le film s'inscrit dans la lignée des superproductions de DeMille (Sous le plus grand chapiteau du monde) et joue la carte du spectaculaire à tout crin : technicolor et scope, grands numéros de cirque (assez impressionnants) et moments d'action anthologiques (le naufrage du bateau).

Tout cela est plutôt bien fait même si Hathaway transgresse parfois la « règle » du « montage interdit » définie par Bazin et qui veut, en schématisant à l'extrême, que le montage de plans ne se substitue pas totalement à la réalité de ce qui est montré (il prend l'exemple d'un film médiocre montrant en montage parallèle banal un enfant et une lionne qui cherche à retrouver son petit mais dont ledit montage est soudainement authentifié par un plan général où l'enfant et le fauve se retrouvent dans le même plan). Il ne s'agit pas de jouer les baziniens puritains et de tirer des conséquences « morales » de cette transgression mais de constater tout simplement qu'elle n'est absolument pas « esthétique ». Je m'explique : lorsque Hathaway filme de vrais numéros de cirque, son découpage est élégant et sait mettre en valeur les corps en mouvement. Lorsqu'il montre John Wayne dompter un lion, on ne demande pas forcément que l'acteur devienne dompteur mais qu'il y ait un plan, au moins, qui nous le montre avec le fauve. Rien de cela ici (si ce n'est par un grossier jeu de transparence) et le découpage devient alors laborieux et plutôt mal fichu puisque Hathaway n'a pas d'autre solution que de filmer la doublure de l'acteur de dos...

Ceci n'est qu'une petite réserve mais elle laisse présager ce qui me gêne souvent dans le cinéma à « effets spéciaux » de ces dernières années : une tendance à privilégier le « tout-visuel » et le spectaculaire au détriment de la véracité cinématographique (qui n'est pas, comprenons-nous bien, une question de « réalisme » mais de « mise en scène »).

Outre son aspect divertissant, le film séduit par sa distribution : John Wayne et Rita Hayworth portent sur leurs visages tout un pan du cinéma hollywoodien et leur seule présence permet au film de se nimber d'une mélancolie assez touchante. Le rapport avec la jeune Claudia Cardinale, assurément la plus belle femme du monde à l'époque, est plutôt bien vu même si on sourit devant le côté paternaliste de Wayne qui la traite comme une jeune adolescente alors que la belle a déjà près de 25 ans sonnés !

Sans la moindre once de maniérisme, Le plus grand cirque du monde traduit assez bien l'état d'un certain cinéma américain coincé entre un savoir-faire à «l'ancienne » et une volonté d'offrir « toujours plus » pour ne pas perdre du terrain par rapport à la télévision.

C'est ce qui fait son côté « malade » mais également son (grand) charme...  

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