Cul-Cul(turel)
Les onze mille verges (1975) d'Eric Lipmann
Du roman Les onze mille verges, j'écrivais ceci (on n'est jamais si bien servi que par soi-même !) : « Âmes sensibles, s'abstenir ! Le livre est parfois très gore et Apollinaire ne recule devant aucune « perversion » : pédophilie, nécrophilie, zoophilie, coprophagie, gérontophilie, masochisme, sadisme seront présentés sans la moindre pudeur et inutile de dire que le tribadisme et la pédérastie sont monnaie courante dans cet univers (gageons qu'avec des mots-clés pareils, je gagne de nouveaux lecteurs !). »
En revanche, je suis en mesure de rassurer mes anciens lecteurs : le film d'Eric Lipmann ne porte en lui rien qui puisse troubler les bonnes mœurs et c'est peu dire qu'il ne s'agit que d'une version édulcorée du livre.
Un jeune cadre bancaire se languit d'une belle fiancée coincée qui le fait mariner. Par le biais d'un héritage, il réalise qu'il est le descendant de Mony Vibescu, hospodar héréditaire roumain, qui fut autrefois le héros d'Apollinaire. Le temps d'une longue rêverie, il va revivre les aventures rocambolesques et fortement sexuées de son aïeul et sa glaciale Florence se changer en l'explosive Culculine.
Le film est un simple coup publicitaire (Lipmann vient d'ailleurs de l'univers de la pub). On imagine fort bien la réunion des « créatifs » en 1975 :
« Attends, coco, ce qui marche en ce moment, c'est le cul ! Il faut leur fourrer de l'érotisme... »
« Oui mais faut viser au-delà du public des érotomanes. Il faut ratisser large, ne pas s'enfermer dans un ghetto... »
« Une adaptation littéraire et le tour est joué : nous tenons notre alibi culturel ! »
Après de patientes recherches (je gage qu'il était déjà difficile à l'époque de trouver quelqu'un ayant déjà ouvert un livre dans une agence de pubs !), nos « créatifs » sont tombés sur Apollinaire (« Ben oui, contrairement à Sade ou Péret, il est dans le « Lagarde et Michard » !) et se sont lancés dans cette terne adaptation.
Comme le livre d'Apollinaire est tout bonnement inadaptable (sa pornographie excédant tout ce que la représentation cinématographique peut imaginer !), les auteurs l'ont transformé en une espèce de comédie franchouillarde où le héros du film (un ersatz de Francis Huster, ce qui est tout dire !) compense sa frustration conjugale par des saynètes imaginées, vaguement érotiques et (très) légèrement teintées de sadomasochisme.
Alibi culturel oblige, la mise en scène n'outrepasse jamais ce qu'il est possible de montrer (à savoir quelques paires de fesses et de poitrines) et sa « haute tenue » est soulignée par une photographie léchée, joliment académique. Ce n'est pas franchement désagréable à regarder (le cheptel de Lipmann est plutôt plaisant, mention spéciale à la plantureuse blondinette de l'Orient Express -Martine Azencot ?-) mais il y a plus d'érotisme dans un seul plan de Bénazéraf ou de Tinto Brass que dans les 90 minutes de ce bibelot même pas cochon.
Il y aurait néanmoins beaucoup à dire sur ce que l'on peut pressentir du devenir de l'érotisme à travers ce film. Symptomatiquement, le héros est un banquier décontracté. Le sexe est désormais une valeur marchande et la culture une « plus-value ». Rarement on aura senti un film aussi « ciblé » (toujours au sens publicitaire du terme), à l'image de cette prétendue exaltation de la liberté sexuelle à la fin du film (je n'ai même pas insisté mais vous avez fort bien compris que toute la dimension bouffonne, « hénaurme » et subversive du roman d'Apollinaire a totalement disparu du film) qui se termine par un retour en bonne et due forme dans les pénates du foyer classique. Lipmann sait parfaitement ménager la chèvre et le chou : surfer sur la mode des « libérations » des années 70 (appât du gain) pour prêcher, en définitive, une bonne petite morale bourgeoise à la Max Pécas.
L'esprit libertaire laisse place alors au sinistre libéralisme qui n'a de cesse d'exalter une prétendue « liberté » dans la seule mesure où elle est quantifiable et monnayable...
NB : Pour terminer sur une véritable note d'érotisme, c'est avec une grande tristesse que j'ai appris la mort de l'égérie d'Irving Klaw, la reine des pin-up, la grande Bettie Page...
Et un joli extrait sur YouTube pour revoir l'espatrouillante Bettie en compagnie de la méga p.o Tempest Storm...