Le rebelle (1980) de Gérard Blain avec Patrick Norbert, Michel Subor

 

 

 

De Gérard Blain, on se souvient d’abord de l’acteur qui accompagna les débuts de la Nouvelle-Vague, que ce soit chez Chabrol (le beau Serge , les cousins) ou Truffaut (les mistons). On oublie un peu trop vite qu’il fut également un cinéaste passionnant, laissant une œuvre (huit films) marginale et secrète qu’on aimerait pouvoir découvrir plus facilement.

Dans mon petit manuel du critique néophyte désireux de briller à peu de frais en société , il est conseillé d’associer au cinéma de Blain l’adjectif « Bressonien ». Il est vrai que Le rebelle débute par une série de gros plans sur des mains faisant circuler de l’argent  (hommage transparent à Pickpocket) et qu’il se termine aux environs d’une salle de cinéma où est projeté Mouchette. Même si la mise en scène de Blain doit effectivement beaucoup à Bresson (nous y reviendrons) , il me paraît néanmoins opportun de noter ce qui les oppose totalement. Autant l’auteur du Diable probablement , indépendamment des chefs-d’œuvre qu’il a pu signer, était un fieffé bigot ; autant Blain resta toujours un anarchiste individualiste de la plus belle espèce.

 

 

 

Synopsis. A la suite de la mort de leur mère ; Pierre, jeune homme solitaire et révolté, se retrouve seul avec sa petite sœur et veut assurer sa garde. Pour cela, il devra surmonter son dégoût de l’esclavage salarié et trouver un travail fixe afin que l’assistance publique ne lui ôte pas cette garde. Il rencontrera un riche promoteur (Michel Subor, parfait dans le rôle de l’odieux PDG capitaliste) qui lui proposera de l’aider en échange d’une relation homosexuelle…

 

 

 

Le film est, à l’image de son héros, une boule de rage rentrée qui finit par exploser. Un brûlot qui refuse tout discours pour ne retenir que la révolte brute et la rage froide. Avec un sujet pareil, nous pouvions craindre le discours larmoyant sur les pauvres et éternels opprimés, sur la cruauté du monde où l’homme n’est plus qu’un loup pour l’homme. Il n’en est rien. Aucun naturalisme dans le rebelle : Blain épure son style (à la manière de Bresson, donc), gomme la psychologie et se contente de filmer des actes. Ses plans sont coupants comme des lames de rasoir et l’émotion n’en ai que plus intense car retenue.

Cette écriture rigoureuse permet au cinéaste d’arracher au réel (le quotidien dans une cité HLM de Maisons-Alfort à l’aube des années 80) des accents de vérité. Vérité sur cette « nouvelle-société » française convertie au « réalisme » suite à la crise économique. C’est la montée du chômage (et l’opportunité d’une belle carotte pour les exploiteurs en profitant pour fourguer des contrats miteux sous prétexte que « c’est mieux que rien » !) et la fin des utopies révolutionnaires (il faut voir la réunion des bonnets de nuit communistes, ralliés sans problème aux simagrées du jeu électoral).

Pierre oppose à ce monde sinistre sa révolte brute. A la réunion du PC, il trouble la liturgie d’un beau parleur et l’écoute béate des brebis en affirmant qu’il « faut tout foutre en l’air ». A ceux qui lui demandent pourquoi il ne travaille pas, il réplique qu’il refuse d’  « engraisser un porc empli de charcuterie et de beaujolais » pour un salaire de misère. Et à la violence de l’exploitation capitaliste garantie par les chiens de garde étatiste (un flic à chaque coin de rue, on ne dira jamais combien ce film est actuel !) ; Pierre désire répliquer par la violence individuelle et l’action directe (de ce point de vue, le film est intéressant car il s’inscrit au moment où l’histoire des luttes se scindent entre le reflux pure et simple des idéologies –entériné dès l’année suivante par l’accès des socialos au pouvoir-, et le durcissement d’une certaine tendance révolutionnaire qui débouchera sur le terrorisme).

Au-delà de tout embrigadement (les gauchistes qui semblaient partager ses vues finiront par abandonner Pierre), Blain esquisse un portrait de révolté absolu où va se nicher un romantisme noir qui m’a rappelé celui de certains films de mon cher Mocky (mes préférés : Solo, l’albatros). 

Après avoir montré de manière assez subtile les mécanismes de l’exploitation (la question des rapports d’argent est déportée du côté de l’intime et du corps. Par son pouvoir, le promoteur cherche à disposer entièrement du corps de Pierre. L’argent est avant tout un rapport social qui oblige les exploités à se prostituer…), le cinéaste fait preuve d’une rage et d’une colère salvatrices dont la violence laisse pantois lorsqu’on la prend en pleine figure 25 ans après, dans une époque aussi veule et molle que la nôtre.

Peu de cinéastes mettent de cette manière leurs tripes sur l’écran. Blain l’a fait avec Le rebelle, œuvre ravacholesque et écorchée vive que je ne saurais trop vous conseiller de (re)découvrir…

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