Beauf academy
Espace détente (2004) de et avec Bruno Solo et Yvan Le Bolloc’h et Thierry Frémont
Ne nous habituons pas au luxe ! La semaine dernière, nous côtoyions du beau linge, arpentant les palaces cannois et les restaurants les plus prestigieux. Au programme, menu quatre étoiles (Almodovar, Moretti) malgré quelques excès de pâtisseries (Sofia Coppola). Cette semaine, retour à la normale. Et avant de vous traîner dans les bas-fonds pour écumer les estaminets les plus crasseux de la série Z, ces bistrots borgnes où des femmes de petites vies retroussent leurs jupons douteux et dévoilent des cuisses variqueuses sous les cris d’apaches de quelques clients avinés au gros bleu bien de chez nous (c’est pour la fin de semaine !), un petit temps d’arrêt chez les « bo-bours ».
Non ! non ! je n’ai pas fait de fautes d’orthographe et ne vous propose pas une visite du centre Georges Pompidou (encore qu’il y ait en ce moment une exposition Godard à laquelle je me serais précipité si j’avais la chance d’habiter votre ville, maudits parigots !), mais bel et bien un tour chez les « beaufs bourgeois » (c’est presque mieux que « bo-beaufs » qu’il m’arriva d’utiliser autrefois). Qu’est-ce qu’un « bo-bours » ? C’est quelqu’un qui a de l’argent (les types arrivant de la télé pour faire du cinéma en ont déjà plein les poches et ils n’utilisent le septième art que pour doubler la mise et faire exploser le jackpot, mettez-vous bien ça dans la tête !) et qui se croit dès lors le maître du monde. Le bo-bour est arrogant, il parle fort de sujets qui varient de la télé-réalité à la prochaine coupe du monde de foot. Son ultime ambition est de faire partie de la jet-set et de passer sa vie en boite de nuit en compagnie de blondes lobotomisées que l’on remet dans leurs coffres sitôt que pointent les premiers rayons du soleil.
Les films des gens de la télé arrivant au cinéma (les Michael Youn, Eric et Ramzy, Kad et Olivier…) suintent cette vulgarité du boutiquier parvenu, cette « beauf-attitude » qui se veut dans le vent et « select ». Solo et Le Bolloc’h ne font pas mieux et si nous poursuivons notre métaphore hôtelière, nous dirons qu’Espace détente est un bar-karaoké. Où ailleurs peut-on admirer de manière aussi concentrée des essaims de « bo-bours » ?
Voir ce navet génétiquement modifié (d’un insignifiant tubercule télévisuel de 2 minutes, on nous propose un affreux légume étiré sur 1 h 45 !) , cela revient à supporter les éructations simiesques de vieux beaux à gourmette ou de minets dégoulinants de brillantine qui s’excitent sur du Johnny (pour l’ancienne génération) ou sur Garou et Obispo (pour la nouvelle). Quelque chose qu’on regarde avec un peu d’effarement et beaucoup de gêne : pourquoi ces gens font-ils ça ? pourquoi cherchent-ils absolument à mettre en avant leur médiocrité ? Pourquoi ne pas continuer à chanter sous sa douche ou à refourguer sa petite daube quotidienne à la chaîne la plus atroce du PAF (M6) ? (la plus atroce parce que la plus « bo-bour ». TF1, c’est la même chose mais c’est uniquement « beauf ». M6 se veut, en plus, jeune et branchée, c’est pour cette raison qu’elle est « bo-bour » !).
Personnellement, Solo et Bolloc’h m’étaient beaucoup plus sympathiques que les épluchures citées plus haut (en fait, je me souvenais seulement de leur passage à Canal puisque je n’ai jamais regardé Caméra café) . Ils ne sont pas mauvais acteurs mais permettez-moi de rire lorsqu’ils affirment avoir réalisé une « comédie sociale » (Ah ? c’est une comédie ? fallait prévenir parce que je n’ai pas souris une fois !) qui plus est, « subversive ». Parlons-en de leur regard sur le monde de l’entreprise et sur l’ultra libéralisme. Certes, il y a bien un entrepreneur aux dents longues (Frémont) qui délocalise à tout va mais le film le présente comme totalement fou. Donc, la critique est nulle et non avenue (car trop outrée). Par contre, on se souviendra surtout des syndicalistes présentés comme des dinosaures sectaires (on ne salue pas les non-syndiqués) , comme des fossiles préhistoriques empêchant la bonne marche du progrès.
Discours « bo-bour » : d’un côté, on flatte le populo en dénonçant certains aspects de l’ultra libéralisme présentés d’ailleurs comme des effets extrêmes (donc rares !) et de l’autre on se la pète « dans le vent », ami du progrès et de l’époque dans laquelle on vit (les auteurs devraient revoir les films de Mocky pour saisir un tant soit peu la définition de « subversif »).
Mais après tout, peu importe le discours si le film était drôle, enlevé, bien écrit, rythmé, construit. Rien de tout ça : juste une laborieuse succession de saynètes atrocement mal filmées (comme d’habitude, comédie française rime avec hideur formelle !) et pas mises en scènes.
Dans un karaoké, un « chanteur » amateur succède à un autre : il en est de même pour les séquences du film qui accusent toutes la même médiocrité.
En deux mots : c’est nul !