Victime ou bourreau ?
Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook
Premier film d’une trilogie qui comprendra par la suite Old boy et Sympathy for Lady Vengeance, Sympathy for Mr Vengeance est le deuxième film que je vois du coréen Park Chan-Wook. J’ai découvert ce cinéaste avec JSA (Joint section aera) , thriller politique qui ne m’avait pas convaincu. Situé à un poste frontière entre la Corée du nord et la Corée du sud, ce film m’a laissé le souvenir d’un exercice de style parfois brillant mais sans réelle personnalité. On y sentait surtout le désir du réalisateur d’appliquer un peu servilement les recettes américaines des films d’action contemporains. D’un tout autre genre, Sympathy for Mr Vengeance ne m’a pas plus convaincu. Là encore, un certain brio pour un résultat laissant un goût amer dans la bouche. Une jolie coquille creuse et un peu douteuse. Nous allons y revenir.
Le héros de ce film est un jeune homme sourd-muet aux cheveux verts (Télérama les voit bleus, c’est peut-être aujourd’hui que je vais apprendre que je suis daltonien !). Totalement dévoué à sa sœur, il est prêt à tout pour lui trouver un rein et permettre une greffe qui pourrait la sauver. Il ira même jusqu’à enlever la fillette de son riche patron…
La première partie du film est la meilleure. Park arrive à nous intriguer en exposant ce qui s’avèreront les enjeux du film. Sa manière de présenter les personnages, d’esquisser les portraits de ceux qui gravitent autour de ce jeune homme muet (sa petite-amie -une militante révolutionnaire -, les trafiquants d’organes…) et de dessiner les liens forts qui existent entre ces personnages (le rapport frère/sœur) n’est pas inintéressante. De plus, moi qui m’attendais à beaucoup de clinquant et d’esbroufe (puisque j’avais lu qu’il s’agissait d’un polar ultra-sophistiqué et ultra-violent) , je dois avouer avoir été agréablement surpris par la relative sobriété de cette première partie. Mis à part quelques afféteries stylistiques (cette recherche un peu vaine du cadrage insolite qui ne répond à aucune nécessité) , la mise en scène est plutôt classique et ne cherche pas à épater le chaland.
Puis ça se gâte. Parce que face à toute les solutions envisageables pour poursuivre son récit, Park choisit la voie de l’excès et ce n’est pas toujours la meilleure. Excès dans la violence (quelques scènes sont assez répugnantes), excès dans la dramatisation des situations (maladie, mort d’une enfant…), excès dans la surenchère de vengeances. Car le film se développe autour de ce thème de la vengeance qui demeure quelque chose de toujours délicat à traiter à l’écran. Des gros nanars à la testostérone de Charles Bronson jusqu’aux immondices de Joël Schumacher (8 mm) en passant par l’abject Vieux fusil ; la vengeance a souvent donné lieu à de forts mauvais films. Dans Sympathy for Mr Vengeance, le principe est celui de la balle de ping-pong : tandis que le héros aux cheveux verts cherche à se venger de ceux qui ont laissé périr sa sœur, le père de la fillette enlevée (morte accidentellement) cherche lui aussi à se venger. Il torturera à mort la petite amie du héros et celle ci sera à son tour vengée par l’organisation révolutionnaire dont elle faisait partie. Ce résumé très lourd du film a le mérite de montrer comment celui-ci s’articule de manière très volontariste autour de nombreux rebondissements. Peu à peu, on sent disparaître les personnages qui deviennent des pantins au service d’une mécanique scénaristique outrée. Prisonnier de cette mécanique, le cinéaste peine à offrir un point de vue et c’est sans doute ce qui m’a le plus gêné.
Je m’explique. Vous commencez à me connaître suffisamment pour savoir que j’ai déjà vu de nombreux films sanguinolents et que la violence (comme le sexe ou les discussions métaphysiques, peu importe) ne me pose pas de problème lorsqu’elle s’affiche sur un écran. De la même manière, j’évite au maximum de poser sur le cinéma (et l’art en général) un regard de « moraliste ». J’estime (c’est même important) que l’on peut tout dire et tout montrer en matière d’art (mais pas n’importe comment. C’est sur cet aspect que porte l’essentiel de mes critiques). Et bien pour la première fois, je vais déroger à cette règle et vous avouer que je suis sorti un peu nauséeux de ce film.
Park Chan-Wook n’a visiblement pas grand chose à nous dire et n’adopte, en tout cas, aucun point de vue fort, passant sans vergogne du bourreau à la victime et vice-versa. Du coup, lorsqu’il filme la violence, elle me paraît d’une totale gratuité et ça me gêne. Lorsque Tarantino filme des hectolitres d’hémoglobine dans Kill Bill (un exemple de très bon film sur la vengeance !) , il inscrit cette violence dans sa réflexion sur le genre et son recyclage. Ici, lorsque Park filme un père de famille anéanti par la douleur d’avoir perdu sa fillette (faut-il avoir de l’empathie pour lui ?) en train de torturer une jeune femme en l’électrocutant, il nous place (par sa manière de cadrer et de découper la séquence) du point de vue du bourreau et c’est tout bonnement insupportable. Pas tant dans ce qui est montré (encore que !) que dans cette manière de nous manipuler et de nous obliger à être à une place où l’on ne tient pas à être.
Peut-être est-ce là la suprême ambition du manipulateur Park : provoquer le malaise, brouiller cette distinction entre victime et bourreau (puisque chaque personnage devient et l’un, et l’autre). Sauf que les dés sont toujours pipés. La mort de la fillette est accidentelle et cela disculpe notre jeune héros. Du coup, sa vengeance semble légitime (surtout qu’elle vise des trafiquants louches) tandis que celle du père de famille est présentée dans toute son ignominie.
Au bout du compte, cette tambouille me semble quelque peu douteuse même si je reconnais à Park (cinéaste surestimé), un certain brio.
On en reparlera au moment de découvrir ses autres films…