La belle personne
Adolescence pervertie (1974) de José Bénazéraf avec Femi Benussi, Malisa Longo
Il fallait bien un cinéaste de la trempe de José Bénazéraf pour me pousser à mettre enfin à jour ce blog qui dépérit jour après jour (ça ne devrait pas trop durer !), surtout lorsqu'il réalise une œuvre affublée d'un tel titre !
Au questionnaire qui a tourné récemment chez la plupart des blogs cinéphiles, Ludovic a eu la bonne idée d'ajouter la catégorie : « cinq films réputés mineurs ou oubliés, ou encore signés par des cinéastes mineurs ou oubliés, qui m'amusent, me plaisent ou m'émerveillent ». J'ai laissé quelques titres en commentaires mais j'aurais pu largement placer Adolescence pervertie qui est non seulement un film érotique très agréable mais qui a le mérite, contrairement à certaines œuvres du Commandeur plus « aimables » pour la critique dite sérieuse (Joe Caligula, La nuit la plus longue, le désirable et le sublime...) d'être totalement « irrécupérable ».
Peu de choses distinguent, en effet, ce récit abracadabrant d'une belle professeur de mathématiques dont les méthodes pédagogiques novatrices (personnellement, j'aurais sans doute été plus sensible aux mathématiques avec une prof pareille qu'avec les vieux bonnets de nuit « lutte ouvrière » qui m'enseignèrent la discipline !) vont faire quelques ravages du côté des étudiants d'un de ces quelconques nanars diffusés jadis sur M6 le dimanche soir (époque bénie).
Mais c'est ce peu qui fait toute la différence puisque c'est là que se niche la patte de Don José, capable de transformer un énième scénario de comédie pour Edwige Fenech en une œuvre personnelle (du moins, un peu) et suffisamment vigoureuse pour tenir en haleine le spectateur.
Pour la petite anecdote et votre culture personnelle (voyez comme je vous choie !), Adolescence pervertie est le premier film où Bénazéraf franchit le pas de la pornographie (une tapineuse italienne se chargeant de doubler pour les scènes hard la bellissima Femi Benussi). Alors qu'il durait près de deux heures à l'origine, la censure imposa des coupes pour ramener le film à une durée standard de 90 minutes. Inutile de préciser que c'est cette version « soft » que j'ai pu découvrir même si, malgré les coupes, quelques passages frisent la représentation « interdite ».
Je vois déjà les chaisières effarouchées s'offusquer qu'on ose défendre de la « vulgaire pornographie ». Eh oui, j'ose lorsque un cinéaste parvient à ficeler ça avec un certain talent. Et ce talent, Bénazéraf n'en est pas dénué. J'aime beaucoup, pour commencer, la première séquence dans le train où le maître fait du Mocky. Dans un compartiment, il s'amuse à filmer une galerie de trognes invraisemblables (un curé apoplectique, un bidasse, un PDG vicelard, un gros bourgeois répugnant -pléonasme- sortant un sandwich taille XXL...) tandis que notre pétroleuse leur taille... un costard (ne soyez pas vulgaires et patientez : ce n'est que le début du film !) en voix-off.
Le film est ensuite un mélange assez youpitant de désinvolture et de moments de grâce. Désinvolture lorsque Bénazéraf décide de ne doubler que rôles principaux tandis que tous les autres personnages parlent en italien. Désinvolture lorsqu'il s'agit de rendre crédible cette professeur adepte de l'interdisciplinarité (pour elle, la mathématique se conjugue fort bien avec la sexualité) ou encore lorsque il s'agit de consteller les dialogues de références littéraires et philosophiques (Rilke, Platon, des chinois du 5ème siècle avant JC, Brecht...) ou d'avoir recours à des blagues potaches assez bidonnantes ( comme ce moment où l'actrice dit soudain, en parlant d'elle-même : « comme me le disait ce célèbre metteur en scène français, José Bénazéraf, tu as le plus beau cul du monde ! »)
Les moments de grâce, ce sont certains passages érotiques assez bien filmés. Comme il le fera plus tard dans L'anthologie des scènes interdites et JB1, le cinéaste « oublie » son récit et laisse sa caméra caresser le corps de ses comédiens et, -surtout- comédiennes avec une vraie dextérité. Le montage est vigoureux, la musique remplace avantageusement les couinements de rigueur et ces passages dégagent une vraie sensualité d'autant plus que les interprètes sont toutes splendides (on reconnaît la sculpturale Malisa Longo, une des vedettes des productions Eurociné).
Je ne prétends bien évidemment pas qu'il s'agisse d'un chef-d'œuvre mais j'admets avoir appris à surpasser mes préjugés pour me laisser gagner par le plaisir de regarder ce genre de films. Plaisir d'autant plus grand que Bénazéraf y fait filtrer par éclat ses salutaires colères contre le régime capitaliste et libéral de Pompidou, contre les préjugés de toutes sortes, contre l'inaction des masses.
Le scénario étant cosigné par l'auguste critique de l'humanité Jean Roy, on doit se taper une séquence au congrès de la CGT avec Séguy (comme moyen de détumescence, le passage se pose là !) mais à part ça, tout cela fleure bon l'anarchisme rageur de Don José.
Et à l'heure des donneurs de leçons compassés qui ne trouvent pas assez de mots pour condamner fermement les bons bougres qui séquestrent leurs patrons (et Julien Coupat, ça fait pas des mois qu'il est séquestré sans AUCUNE raison ?) ou un peu de grabuge alsacien (certes beaucoup plus violent et inadmissible qu'un bombardement en Afghanistan, en Irak ou qu'un massacre à Gaza !), cette apologie des désirs libérés et des révoltes les plus désaxantes m'a plutôt bien botté...