La pirate (1983) de Jacques Doillon avec Jane Birkin, Maruschka Detmers, Philippe Léotard, Laure Marsac, Andrew Birkin


Il est évident que certains jugements portés sur certains films doivent prendre en compte des données « extérieures » à l'œuvre elle-même. Ainsi, je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée de découvrir La pirate au vu de l'état d'épuisement dans lequel j'étais hier soir, presque incapable de fixer mon esprit sur les gesticulations se déroulant à l'écran.

Mais même dans des conditions « normales », je ne suis pas certain que j'aurais accroché davantage à cette œuvre qui représente pour moi la quintessence de ce qui m'agace parfois chez Doillon (cinéaste que j'apprécie plutôt dans l'ensemble).

Avant de définir ce qui me gêne dans La pirate, commençons par les qualités indéniables du film, qui sont d'ailleurs assez caractéristiques de celles du cinéaste en général.

D'abord, il y a cette capacité chez Doillon à nous propulser immédiatement au cœur de l'action. Je n'ai pas été totalement convaincu par son dernier opus Le premier venu mais j'avais trouvé le début assez remarquable. Dans la pirate, c'est la même chose : le spectateur a à peine le temps d'identifier les cinq personnages du drame - deux femmes qui s'aiment, un mari jaloux, un flic amoureux accompagné d'une jeune adolescente qui suivent ce trio infernal- qu'il est plongé dans un tourbillon de passions contradictoires.

Comme d'habitude également, la direction d'acteur est impressionnante. Jane Birkin est totalement habitée par son rôle et la craquante Maruschka Detmers est remarquable. Les acteurs s'en sortent parfaitement et la petite Laure Marsac a une présence rare pour une gamine de 14 ans.

Au niveau de la mise en scène, rien à redire non plus : le cadre est rigoureux et Doillon parvient à une espèce d'épure dans la narration qui aurait pu être intéressante. Mais voilà, ce qu'il gagne en s'éloignant du naturalisme et de la psychologie, il le perd en crédibilité et sombre, à mon sens, dans une certaine artificialité.

Le hasard des sorties fait que le film a été montré, sauf erreur, à Cannes en 1984 en même temps que La femme publique de Zulawski. J'aime assez certains films du cinéaste polonais mais celui-là fait partie des ratés et il me semble y avoir beaucoup de points communs avec celui de Doillon. En effets, les deux cinéastes tentent d'aller plus loin que la psychologie en jouant la carte d'une hystérie généralisée. La pirate ne se compose, effectivement, que de scènes composées comme des « blocs » d'hystérie où les personnages s'aiment, se cognent, hurlent, se blessent et se brûlent les ailes aux flammes de la passion. Le récit n'a alors plus d'importance, seuls comptent ces moments exacerbés. Hors il me semble que la mise en scène cinématographique est (pas seulement, mais notamment) une question de rythme (rythme ne signifiant pas forcément « rapidité ») et qu'un cinéaste décidant de tout miser sur la même tonalité (cette hystérie permanente) prend le risque de lasser le spectateur.

Comme chez Zulawski (du moins dans ses mauvais films), cette gesticulation permanente devient vite irritante car elle ne se raccroche à rien : ces études au scalpel de la passion comme cancer qui dévore les os finissent par sombrer dans l'artificialité la plus pure en raison de dialogues un peu pompeux et « absurdes » (la petite ado qui demande au policier qui enlève ses chaussures à qui il a volé ces pieds !) et d'une volonté un peu vaine de refuser toute incarnation dans un véritable récit (ce que fera très bien Doillon dans des films comme Amoureuse ou La vengeance d'une femme, par exemple).

Avec Comédie ! (un peu construit sur le même principe et toujours avec Birkin), La pirate est sans doute le film que j'aime le moins du cinéaste. Peut-être faudra t-il que je le redécouvre à tête reposée mais dans l'état actuel des choses, je l'ai trouvé assommant et assez typique d'un certain cinéma d'auteur des années 80 porté sur l'outrance et l'exacerbation. Ce cinéma a sans doute donné quelque bonne chose, mais ici, ça me paraît être le comble de l'artificialité...






 

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