Violette Nozière (1977) de Claude Chabrol avec Isabelle Hupper, Stéphane Audran, Jean Carmet, Bernadette Lafont, Fabrice Luchini


« Violette a rêvé de défaire

A défait

L'affreux nœud de serpents des liens du sang. » (Paul Eluard)


A la fin des années 70, Claude Chabrol décide de s'intéresser à la figure de Violette Nozière, cette jeune femme qui défraya la chronique des « années folles » en tentant d'empoisonner ses parents et de maquiller l'assassinat en suicide au gaz. Si la mère de Violette sera réanimée, son père succombera à l'intoxication. Tandis que les surréalistes chanteront les louanges de la petite parricide (qui proclamera que son père abusait d'elle depuis l'âge de douze ans et qu'elle voulut se venger), la France bien-pensante réclamera sa tête sur fond de montée des périls (nous sommes en 1933).

On voit dès le plan d'ouverture (un travelling avant imperceptible qui approche l'œil du spectateur d'une grille) ce qui a pu séduire Chabrol dans ce fait divers célèbre : la possibilité de plonger une fois de plus au cœur de la « monstruosité » humaine. Monstruosité que le cinéaste n'appréhende jamais comme quelque chose de radicalement séparée de la nature humaine mais, à la manière de Fritz Lang, comme une partie composante de cette nature humaine.

Ce qui caractérise Violette, c'est son extrême « banalité » : juste une jeune fille comme les autres, prisonnière d'un milieu étriqué (même si le terme est sans doute anachronique pour l'époque, nous dirions volontiers qu'elle fait partie d'une certaine classe moyenne voulant échapper à ses origines ouvrières et modestes en misant sur une certaine promotion sociale) et victime de ses rêves de midinette (elle a la naïveté de croire encore à l'amour absolu et c'est, d'une certaine manière, ce qui la rend si attachante et qui a du séduire les surréalistes).


Commençons par le principal : l'extraordinaire interprétation d'Isabelle Huppert dans le rôle de Violette Nozière. Pour ma part, c'est un fait entendu : j'adore Isabelle Huppert. Cela ne m'empêche pas de lui trouver parfois, dans ses derniers rôles, une certaine affectation dans sa manière de ne rien laisser échapper, dans l'épure glaciale de son style de jeu. Ici, son jeu « rentré » est en parfaite adéquation avec le personnage et se révèle d'une incroyable intensité qui se double d'une sensualité ravageuse. Il faudrait des pages et des pages (et des mots moins maladroits que les miens) pour décrire le regard de Violette : ce n'est plus un puit ni même un gouffre mais des abîmes où se perd littéralement l'entendement humain. Chabrol joue à merveille de l'opacité de ce regard qui lui offre l'occasion d'ausculter la part obscure qui se niche en chaque individu.

Alors que le film débute comme une chronique pas forcément très enthousiasmante (Chabrol rate une scène de reconstitution où il tente de dresser un rapide tableau de la situation sociale française en faisant se disputer dans un café de jeunes gens qui évoquent, en vrac, le fascisme, Hitler, le bolchevisme, Claudel, Breton et Je suis partout). Mais peu à peu, ce que cette chronique pourrait avoir d'amidonné et d'académique se charge d'une opacité qui finit par faire de Violette Nozière l'un des grands films du cinéaste.

Chabrol ne cherche ni à juger son héroïne, ni à l'ériger en symbole. Juste retracer son parcours, la scruter tout en laissant planer sur elle de grandes zones d'ombre. Violette est d'abord la victime d'un ordre social. Chabrol la filme comme une prisonnière, coincée dans son petit appartement avec ses parents, obligée de se cacher pour « vivre sa vie » (se maquiller, fréquenter des gens de son âge...) tout en supportant la médiocrité quotidienne de la promiscuité (les parties de belottes avec papa ou les échos de pathétiques parties de jambes en l'air de ses parents dans la chambre d'à côté).

Par petites touches acerbes, Chabrol règle une fois de plus ses comptes avec une société ne vivant que sur les apparences (on doit cacher la maladie « honteuse » de Violette) et stigmatise la médiocrité des conventions sociales (superbe moment où Violette crache son mépris à la figure des « nains » qui l'ont jugée).

Mais tout ce que le film pourrait avoir de « psychologique » ou « sociologique » est sapé par une mise en scène habile qui, mine de rien, parvient à envelopper le personnage d'un voile opaque infranchissable. A coup d'ellipses fulgurantes (la scène du meurtre est remarquable), de flash-back, de petits décrochages oniriques, Chabrol nous livre le portrait impénétrable d'une jeune fille autant victime que bourreau. Un exemple parmi cent : jamais le cinéaste ne nous dévoilera ce qu'il en est de la nature de la relation entre Violette et son père. Violette mythomane ? C'est concevable tant Jean Carmet semble bonhomme et dénué du moindre sentiment suspect envers sa fille. Pourtant, il y a une scène très belle où l'homme parle avec sa fille alors qu'elle se lave presque devant lui. Sincèrement, rien ne semble équivoque dans l'attitude du père mais par le simple fait qu'il jette un coup d'œil sur le corps de Violette, un doute s'insinue (comme dans la fameuse scène de « l'adultère » supposé dans Bellamy) et le spectateur est libre d'imaginer ce qu'il veut. Comme chez Hitchcock, c'est d'ailleurs un simple regard qui laisse planer un sentiment de culpabilité.

L'hypothèse de l'inceste ne suffit d'ailleurs pas à expliquer le geste de Violette : est-ce l'argent ? L'amour et l'envie d'échapper à un milieu étouffant ? Chabrol avance quelques pistes mais ne résout rien. Il laisse l'opacité enrober son personnage et le film finit par achopper sur une incompréhension majeure qui est celle du « Mal » (l'influence de Lang, sans aucun doute) et du mystère de la nature humaine.

Je sais que certains persistent à faire la fine bouche mais je suis certain qu'on finira par mesurer l'importance du cinéma de Chabrol et son extraordinaire cohérence. Violette Nozière fait assurément partie de ses beaux fleurons (pas si rares que certains veulent bien le dire) qui jalonnent la carrière du cinéaste...

 

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