Ariel (1988) d’Aki Kaurismäki

 

 

Sortie (provisoire ?) de coma pour mon blog grâce aux bons soins du professeur Boulet de passage dans notre bonne capitale des ducs de Bourgogne. Occasion inespérée de vous inviter à acquérir le dernier album de Donjon qu’il vient de dessiner (scénario : Sfar et Trondheim) . Retour en fanfare de votre serviteur, donc, qui va profiter de cet espace virtuel pour vous dire tout le bien qu’il pense d’Aki Kaurismäki, cinéaste finlandais qu’il tient pour l’un des cinéastes les plus passionnants du moment.

« Les plus redoutables ennemis des Finlandais sont la mélancolie, la tristesse, l’apathie. Une insondable lassitude plane sur ce malheureux peuple et le courbe depuis des milliers d’années sous son joug, forçant son âme à la noirceur et à la gravité. Le poids du pessimisme est tel que beaucoup voient dans la mort le seul remède à leur angoisse. Le spleen est un adversaire plus impitoyable que l’Union soviétique ». En découvrant les premiers mots du livre de Arto Paasilinna Petits suicides entre amis, j’ai immédiatement pensé au cinéma de Kaurismäki dont ils offrent un parfait résumé. Et c’est peu dire que le cinéaste excelle dans cette manière de peindre le petit peuple de Finlande (ouvriers, manutentionnaires, éboueurs…) courbé par les poids conjugués de la déprime, du chômage et d’une infinie tristesse (souvenez-vous des yeux de la petite ouvrière, héroïne du magnifique la fille aux allumettes).

J’ai bien conscience que, présenté comme ça, vous avez déjà abandonné la lecture de cette note et décapsulé une bière pour suivre un ridicule match de foot. Vous avez tort car le cinéma de Kaurismäki n’a rien de déprimant et cet homme a le don pour ne pas s’apitoyer ni pleurnicher sur une humanité misérable. Au contraire, son œuvre est traversée par un humour à froid très noir que je trouve délectable. Pas question de jeter un voile pudique sur les conditions d’existence insupportables que vivent un bon nombre de prolétaires (en Finlande mais partout ailleurs également) mais pas question non plus de s’agenouiller devant les maîtres et de mendier une pitié répugnante. Les personnages de Kaurismäki restent toujours debout et dignes, toujours décalés par rapport à la société mais pas résignés.

 

 

Dans Ariel, un de ses premiers films (pas le plus abouti mais intéressant de bout en bout), nous suivons le parcours d’un mineur au chômage qui hérite d’une voiture de la part d’un ami au bout du rouleau (il se suicide quasiment sous ses yeux) et part en direction d’Helsinki pour tenter de gagner sa vie. Sa route sera semée d’embûches (il sera volé, arnaqué puis jeté en prison) mais jamais l’espoir de voir les nuages se disperser ne disparaîtra… Ariel est une épure, assez typique du style Kaurismäki : 1 heure 09 de métrage, des cadrages tirés au cordeau, des dialogues laconiques et un remarquable sens de l’ellipse. Jamais le cinéaste ne s’appesantit sur la psychologie des personnages ou n’appuie sur la dimension « sociale » de son film (qui n’existe que dans la manière dont ces corps ouvriers occupent l’écran et non par décision arbitraire du scénario. Dieu merci, Kaurismäki n’est pas Tavernier !).

Ce qui prime chez lui, c’est la manière dont les plans s’enchaînent. En trois ou quatre plans, Kaurismäki vous filme un braquage de banque ou une évasion. Pas de complaisance naturaliste chez lui mais une succession d’ellipses qui apporte cette dimension d’humour absurde. A ce titre, la rencontre avec la future femme de notre héros est admirable. La jeune femme est une aubergine qui démissionne à l’instant où elle croise le bonhomme et monte dans sa voiture. Ils décident ensuite, en mangeant ensemble, de ne plus jamais se quitter et on les retrouve au saut du lit quelques plans plus tard (en fait, le fils de la dame braque un pistolet sur son futur beau-père et lui annonce que le petit déjeuner est servi !).

 

 

Ce sont ces ellipses, cette manière d’enchaîner les plans en les épurant de tout discours, de tout chichi descriptif ou de considérations socio-psychologiques qui donne son tempo à Ariel. A travers les silhouettes qui peuplent cette petite eau-forte (il faudrait parler du camarade de prison de notre « héros », interprété par le génial et regretté Matti Pellonpää) , Kaurismäki nous offre un regard plein d’empathie pour ces « gens de peu » brisés par l’horreur capitaliste (les mines qui ferment, les vendeurs de voitures qui ne pensent que profits éhontés…) et le règne tout puissant du fric.

La froideur apparente du style (qui est en fait une manière de se tenir à juste distance et de ne pas faire appel à des sentiments putassiers) recèle soudain des éclairs de chaleur et de pure émotion à l’image de ces tangos désuets qui occupent une majeure partie de la bande-originale du film.

La situation est certes déplorable mais il plane toujours un petit espoir que ce soit du côté de l’être aimé, d’un ami ou d’un petit verre prit dans un bistrot populaire…
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