Eternelles vacances
Les vacances de monsieur Hulot (1953) de et avec Jacques Tati
Parallèlement à la grande rétrospective Tati à la cinémathèque, Les vacances de monsieur Hulot ressort en salles dans une très belle copie restaurée. Il y a toujours quelque chose de dérisoire à vouloir encore parler du cinéma de Tati, l'un des plus grands cinéastes français de tous les temps, alors que tout a été dis ; et beaucoup mieux que ce que je pourrais éventuellement ajouter.
Premier constat néanmoins, il faut absolument revoir ses films en salle. J'avais déjà fais l'expérience en redécouvrant Playtime au cinéma (sans doute mon film préféré du cinéaste) et j'en ai eu confirmation hier : Tati fait partie de ces cinéastes dont l'ampleur des mises en scène se déploie avant tout sur grand écran.
Deuxième constat : lorsque sur la fin du film les vacanciers se disent au revoir en ignorant M. Hulot et que celui-ci va s'asseoir près des enfants, on réalise à quel point le cinéma de Tati entretient un rapport fort avec l'enfance. Enfance à tous les sens du terme : celui du jeu mais aussi enfance d'un art qui replonge dans les origines du cinéma burlesque.
Les vacances de M. Hulot, c'est le mélange parfait entre une sophistication formelle incroyable et une fraîche innocence qui puise ses racines dans le mime, le cirque et le spectacle forain.
Perfection formelle, disais-je, qui s'épanouit grâce à un sens du cadre unique, une merveilleuse utilisation de la profondeur de champ où vont parfois se nicher certains gags (c'est dans Playtime que Tati radicalisera le plus cette caractéristique), un montage à proprement parler génial, qui exploite toutes les possibilités de l'ellipse et du hors champ (comme chez Lubisch, c'est souvent l'esprit du spectateur qui reconstitue le gag). Et bien sûr, il faudrait parler du son puisque Tati se passe quasiment de la parole pour nous plonger dans un bain sonore d'une richesse exceptionnelle, qui va du bruit récurrent (celui de la porte battante de l'hôtel de la plage) aux sonorités d'ambiances (les phrases banales que s'échangent les estivants, les cris des enfants sur la plage...) en passant par la musique qui couvre soudain un discours ennuyeux à mourir d'un quelconque et grotesque ministre. C'est souvent le son qui fait office de raccord entre les plans et qui dynamise une mise en scène toujours inventive.
Est-il encore nécessaire de raconter le film ? Rappeler qu'il marque la naissance de Monsieur Hulot, personnage burlesque unique avec ses pantalons trop courts et son éternel pipe au bec ?
Sans doute pas : juste se laisser aller une fois de plus à savourer ses mésaventures dans cette station balnéaire où il provoque de multiples catastrophes, que ce soit simplement en ouvrant une porte et en laissant le vent ennuyer tous les résidents de l'hôtel, soit par de multiples maladresses. Les gags sont célèbres, inutiles de revenir dessus même si l'on peut constater l'étendue du talent de Tati pour varier des gags burlesques des plus classiques (monsieur Hulot éjecté à l'eau) aux plus discrets en passant par les plus élaborés (le succulent moment où Hulot se cache derrière un portemanteau et où l'on s'aperçoit de sa fuite uniquement grâce aux empreintes de ses pieds), les plus poétiques (ces lumières qui s'allument dans l'hôtel dès qu'il y a du raffut, le petit homme qui suit sa mémère tout au long du film) et même l'humour noir (la séquence au cimetière avec la chambre à air qui se transforme en couronne mortuaire).
Tout cela, contrairement à ce que l'on peut entendre parfois, n'a pas pris une ride même s'il faut avouer qu'un sourire permanent l'emporte sur les francs éclats de rire.
L'intérêt des Vacances de monsieur Hulot et du cinéma de Tati en général, c'est aussi de voir comment le cinéaste parvient à enregistrer les mutations de la société française et à se moquer des aléas de la « modernité ». Dans Mon oncle, il sera question de l'explosion de la société de consommation (ce film me fait toujours penser à la chanson de Boris Vian la complainte du progrès) et de la déshumanisation des sociétés industrielles prisonnières de leur béton et de leurs néons (Playtime) ou de la bagnole (Trafic). Ici, Tati filme la France de la quatrième République qui redécouvre, après la guerre, les joies du tourisme balnéaire et des loisirs (je pense qu'on pourrait écrire un essai en se consacrant uniquement à la fameuse partie de tennis du film et au coup de raquette magique d'Hulot). Il y a beaucoup d'ironie dans cette étude de comportements de plus en plus moutonniers (voir la première scène à la gare) et de plus en plus conformistes (il s'agit, comme dans ces séances de gymnastique, de se conformer aux gestes du groupe. Si Hulot se distingue, c'est justement parce que ses gestes ne sont jamais synchrones à ceux du monde entier). En même temps, il n'y a jamais de cynisme chez Tati qui peut rire des travers de ses contemporains sans pour autant adopter une attitude dédaigneuse. Comme tous les grands burlesques (Chaplin, Keaton, Lloyd...), il aimerait s'intégrer au groupe mais il ne peut résolument pas. Il observe alors le monde tel un extra-terrestre ou tel le persan de Montesquieu projeté dans un univers qu'il ne connaît pas. Mais même les personnages les plus « ridicules » finissent par être sauvés (la vieille anglaise sympathique) et il n'y a pas chez le cinéaste d'acrimonie.
Du coup, entre satire et esprit « bon enfant », Les vacances de Monsieur hulot reste un formidable témoignage d'une époque, à la fois drôle et raffiné. Il n'y a rien à ajouter : ces vacances restent éternelles...