A vos Marx...
L’explorateur en folie (Animal crackers) (1930) de Victor Heerman avec Groucho, Harpo, Chico et Zeppo Marx et Margaret Dumont
Le hasard faisant bien les choses, il se trouve que l’ami Ed parle également des Marx brothers en ce moment. Si je cite son article un tantinet sévère, c’est parce qu’il faut bien avouer que les griefs qu’il émet contre Un jour au cirque pourraient fort bien s’appliquer à ce deuxième long-métrage des frères Marx.
Comme the cocoanuts, Animal crakers est une adaptation d’un spectacle théâtral et personne ne s’est soucié de trouver quelqu’un derrière la caméra capable de faire autre chose qu’une captation paresseuse dudit spectacle. Et dans la mesure où le quasiment inconnu Victor Heerman (il a participé aux scénarios des deux films de Stahl Le secret magnifique et Imitation of life que Sirk réadaptera par la suite et il est le scénariste des Quatre filles du Docteur March) s’avère être un parfait tâcheron, le spectateur doit subir d’interminables numéros musicaux filmés à la truelle et une histoire de tableaux volés qui n’a pas plus d’intérêt que la romance sentimentale qui se développe en parallèle.
Objectivement parlant (si le terme d’ « objectivité » veut dire quelque chose dans le domaine de l’art), le film n’est donc pas très bon mais pourquoi le nier : nous échangeons volontiers contre le plus « mauvais » film des frères Marx (à déterminer car il n’en existe aucun de totalement ratés) les œuvres complètes des frères Larrieu, Christophe Honoré, Bertrand Tavernier et Ken Loach réunies !
Tout simplement parce que les Marx acteurs et comiques sont toujours géniaux. Pour peu qu’on patiente dans les tunnels (qui durent parfois 10-15 minutes), on est ensuite emballé par la verve absurde d’un Groucho proposant à Margaret Dumont un ménage à trois du meilleur goût (surtout lorsqu’il évoque la possibilité pour les deux femmes de partir en voyage uniquement toutes les deux !). J’enrage à ce propos d’avoir une mémoire de poisson rouge qui m’empêche de vous citer quelques unes des phrases désopilantes dont le maître n’est jamais avare.
De la même manière, comment ne pas être aux anges à chaque apparition d’Harpo (qui est peut-être, avec le temps, celui qui me fait le plus rire), véritable grain de sable dans la mécanique trop bien huilée du monde. Ses mimiques, sa kleptomanie légendaire, sa violence burlesque (la manière dont il fait reposer sa jambe dans les bras de tous ses interlocuteurs ou la façon dont il court après toutes les donzelles qu’il croise) font mouche à chaque fois.
Quant à Chico, il est pour moi le partenaire nécessaire, celui qui « renvoie la balle » : avec Groucho, ils poussent le langage dans ses retranchements ultimes et atteignent des sommets de nonsense tandis que sa gouaille de rustre italianisant apparaît comme un complément nécessaire au mutisme d’Harpo. Harpo n’a plus besoin de sa voix grâce à Chico et peut dès lors lâcher la bride de son jeu corporel.
Même dans un film aussi platement réalisé que L’explorateur en folie, rien n’empêche le déchaînement anarcho-burlesque des trois frères (je ne cite pas Zeppo qui est un peu en retrait et dont les duos avec Groucho paraissent un peu fades comparés au reste) et c’est cette folie dévastatrice qui nous réjouit toujours. Alors d’accord, il faut piocher et faire le tri mais nul doute que nous reverrons toujours avec le même plaisir Groucho raconter comment il a tué un ours polaire en Afrique…