Trop de mots !
Gabrielle (2005) de Patrice Chéreau avec Isabelle Huppert, Pascal Greggory
Je ne sais pas si vous avez lu la Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary du grand Guy Hocquenghem (si vous ne l’avez pas fait, vous avez tort car c’est un indispensable pamphlet contre les têtes de nœuds qui faisaient l’opinion française et qui sont toujours là 20 ans après la parution du livre) mais c’est aux pages assassines qu’il consacra à Chéreau auxquelles j’ai immédiatement pensé en découvrant Gabrielle. Je me souviens que l’auteur affirmait (avec une certaine lucidité) que les films de l’intéressé « puait la théâtralité » et c’est effectivement cette « théâtralité » qui plombe l’œuvre dès ses premiers plans.
Entendons-nous bien : de Guitry à la fausse suivante de Jacquot en passant par Renoir et Minnelli, le mariage du théâtre et du cinéma à l’écran a souvent été fécond et riche, produisant des œuvres magnifiques. Tout simplement parce que ces cinéastes surent intégrer le théâtre dans des formes cinématographiques spécifiques et originales.
Avec Gabrielle, Chéreau adapte un court récit de Conrad, mettant en scène un couple marié depuis 10 ans qui se déchire lorsque la femme (Gabrielle) quitte le foyer en laissant une lettre avant de revenir dans ses meubles. Ce n’est donc pas du théâtre mais de la littérature et pourtant, dès les premières séquences, on a le sentiment d’assister à du mauvais théâtre pas mis en scène, sans aucun point de vue.
Filmer les mots est un exercice extrêmement périlleux et n’est pas Rohmer qui veut : Chéreau nous accable donc avec un film bavard et sans chair. Et plutôt que de réfléchir à la manière de mettre en scène ces mots, le cinéaste se contente d’effets en toc « faisant cinéma ». Voilà donc un film qui passe, sans raisons précises, du noir et blanc à la couleur et qui déborde de tics chichiteux : lors du premier véritable conflit entre Gabrielle et son mari, ce dernier lui jette un verre d’eau à la figure. Occasion rêvée pour Chéreau de sortir la grosse artillerie : passage de la couleur au noir et blanc, ralenti et lourde partition musicale qui vient surligner le caractère « dramatique » du moment. Tout est de cet ordre : aussi léger qu’un escadron de CRS tombant sur des jeunes du quartier latin !
Incapable de filmer la parole, Chéreau plombe son film par mille artifices : mots incrustés à l’écran, caméra pris de bougeotte intempestive, voix-off envahissantes…
Au milieu de cet océan d’ennui, il reste les comédiens. A deux ou trois grimaces près, Pascal Greggory s’en tire pas mal et est plutôt bien. Face à lui, Isabelle Huppert est plus marmoréenne que jamais. Elle est assez impressionnante mais le problème, c’est que j’ai eu l’impression de voir pendant 1h30 Isabelle Huppert, à savoir une grande et courageuse (combien d’actrices de sa génération osent encore se montrer nue à l’écran ? Je n’en vois pas beaucoup !) comédienne mais jamais le personnage.
Les acteurs ne sont pas en cause : Chéreau se montrant incapable de donner la moindre chair à cet interminable dialogue entre ce bourgeois cocu et cette épouse frustrée.
C’était un sujet pour Bergman mais, là non plus, n’est pas Bergman qui veut…