Monnaie de singe (1931) de Norman Z. McLeod avec Groucho, Harpo, Chico et Zeppo Marx

 

Avec ce troisième long-métrage, les Marx Bros commencent enfin à trouver leurs marques au cinéma et un metteur en scène capable de donner une forme acceptable à leurs exploits. Il ne s’agit pas de prétendre que Norman Z. McLeod a le talent d’un Lubitsch mais simplement reconnaître qu’il y a chez cet honnête artisan un désir de dépasser la simple « mise en boite » de morceaux théâtraux. Sans être révolutionnaire du point de vue stylistique, Monnaie de singe est découpé de manière alerte (le cinéaste ose même jouer parfois avec le hors champ et quelques raccords assez malicieux) et s’avère beaucoup plus tenu et rythmé que les deux œuvres précédentes du quatuor infernal. Le cinéaste a même le bon goût de nous épargner les interminables morceaux musicaux qui plombent certains films des Marx (à l’exception, bien entendu, des interludes « obligés » mais savoureux que sont le morceau de piano de Chico et celui de harpe exécuté par Harpo) et de laisser de côté une intrigue sentimentale sans intérêt (c’est Zeppo qui endosse ici le rôle du jeune premier enamouré)

Ne reste alors que la folie Marx pour notre plus grand plaisir. Les quatre frères sont, cette fois-ci, des clandestins sur un bateau où ils vont mettre une pagaille monstre. L’intrigue n’a évidemment que peu d’importance et c’est davantage le feux d’artifice de gags qui nous réjouit.

De cette première grande œuvre marxienne, on retient surtout ce morceau d’anthologie désopilant qu’est le moment où les quatre clandestins tentent de sortir discrètement du bateau en se faisant passer pour…Maurice Chevalier. Chacune des imitations du chanteur gaulois vaut son pesant de cacahuètes (et même de noix de coco !), notamment celle du pourtant muet Harpo qui trouve un habile stratagème pour parvenir à chanter…

Mais il y a d’autres passages tout aussi réussis, ne serait-ce que ce succulent passage burlesque où Harpo tente d’éviter le capitaine du navire en se faisant passer pour… une marionnette de Guignol !   

Et comme d’habitude, il faut également citer les joutes verbales absurdes entre Chico et Groucho (je l’avais déjà remarqué pour les deux films précédents, les dialogues sont très mal rendus par une traduction trop « linéaire » alors que les frères jouent sur les mots en pratiquant avec virtuosité l’homophonie et le calembour); les répliques acides et vachardes de Groucho qui fusent sans temps mort (« Est-il vrai que votre mari a demandé le divorce une heure après avoir recouvert la vue ? ») et les catastrophes burlesques tordantes que provoque immanquablement Harpo lorsqu’il n’est pas occupé à courir (au sens littéral du terme) après les filles (ce qui est, n’en doutons point, une saine manière de passer le temps !).

Le principe du comique marxien qui se met véritablement en place avec Monnaie de singe (Monkey business) est celui de la déflagration anarchiste. Soit quatre concentrés d’énergie brute qui explosent dans un lieu plus ou moins clos (un bateau, un grand magasin, un opéra…) et qui mettent sens dessus dessous toutes les conventions sociales (voir la manière inimitable dont Groucho s’adresse aux rombières) et l’ordre établi.

Lorsque je parle « d’anarchie », il ne s’agit évidemment pas d’un programme « idéologique » (encore heureux !) mais d’un souffle tempétueux qui ne respecte rien et qui balaie tout le ridicule de nos conventions.

Ce souffle, c’est celui d’un rire énorme et dévastateur, qui fait toujours autant de bien alors qu’il a désormais près de 80 ans !

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