Everyone says I love you
Plumes de cheval (1932) de Norman Z. McLeod avec Groucho, Chico, Harpo et Zeppo Marx
Quatrième long-métrage des Marx brothers et le deuxième qu’ils tournèrent sous la direction de Norman Z McLeod, Plumes de cheval marque sans doute une sorte d’apogée du comique marxien qui se poursuivra d’ailleurs avec le film suivant Soupe au canard (sans doute leur chef-d’œuvre). Jamais le délire de la famille n’a autant confiné au surréalisme : Harpo n’hésitant pas à sortir de son paletot légendaire un petit cochon ou un poisson-scie tandis que Chico explique à Groucho, avec sa verve italianisante, qu’il a préféré se débarrasser de sa voiture plutôt que de son chauffeur (« j’avais besoin d’un chauffeur pour aller au travail » « Oui, mais comment faites-vous pour aller au travail si vous n’avez plus de voiture ? » « Je n’ai pas de travail »…)
Dès le départ, le ton est donné : Groucho est nommé recteur de l’université de Huxley (rien que ça !) et son premier discours n’est tendre ni pour les vieux barbons de la vénérable institution qui l’entourent, ni pour les étudiants avachis. Parmi ceux-ci, son propre fils (Zeppo !) qui traîne dans ses études depuis qu’il fréquente une charmante veuve (« A ton âge, j’avais déjà fais trois universités et fréquenté trois veuves » lui assène son père avec rudesse).
L’objet du film est tout simple : conscient des vrais raisons d’être de l’université, Groucho va tenter de trouver deux bons joueurs de football américain pour qu’Huxley batte l’équipe adverse. Comme lesdits joueurs seront débauchés par les adversaires, Chico et Harpo seront engagés après une série de quiproquos.
Comme toujours, l’intrigue compte moins que la teneur en folie de l’ensemble de l’entreprise. Cette fois, les Marx ont bel et bien trouvé leur rythme de croisière : le film est court (un peu plus d’une heure), sans temps morts et il n’est plus question de « théâtre filmé ».
La suite ? Un festival de gags où les quatre zigotos s’en donnent à cœur joie pour le plus grand plaisir d’un spectateur conquis.
Chez Groucho, on retrouve « ce don inné de retourner les mots, de les rincer et des les essorer, de leur faire signifier tout autre chose qu’à l’origine » (Robert Benayoun). Une fois de plus, son humour sardonique et nonsensique fait mouche à chaque fois (« Allez donc retrouvez votre femme ! Ou plutôt, non, c’est moi qui vais la retrouver : elle n’y verra rien sauf peut-être une légère amélioration ») et comme le dit encore Benayoun, ce qui distingue Groucho c’est une manière unique « d’assaisonner au poivre le propos le plus inoffensif » et « l’art de parler presque exclusivement par interruptions insolentes, ou par inversion sardonique d’une proposition simple ».
L’escalade nonsensique atteint des sommets lors de ses joutes verbales avec Chico alors qu’il appartient toujours à Harpo de prendre en charge le délire visuel d’une œuvre qui n’en manque pas. A ce titre il faut citer le match de football final, véritable morceau d’anthologie désopilant ; mais également la façon dont Harpo fait tourner en bourrique la maréchaussée en créant un embouteillage monstre en nourrissant un cheval sur la voie publique ou encore sa manière unique d’utiliser une hache pour couper un jeu de cartes lorsqu’on lui demande !
Lorsque les trois sont réunis, ça donne cette scène anthologique (eh oui, encore une !) où Groucho s’improvise prof de fac et donne une leçon à une classe qui compte parmi elle Chico et Harpo. On imagine comment peut se terminer un tel regroupement (une bataille de boulettes de papier bien connue de tous les marxistes).
Encore une fois, nous sommes à mi-chemin entre l’univers doré de l’enfance (le côté clownesque et lunaire d’Harpo) et l’anarchie la plus complète (d’un point de vue strictement littéral, les frères Marx ne respectent rien). Cerise sur le gâteau, c’est dans Plumes de cheval que les quatre frères interprètent à leur manière le célèbre everyone says I love you (même Groucho s’y met en jouant de la guitare).
Qu’ajouter de plus sinon qu’on se régale ?