99 francs (2007) de Jan Kounen avec Jean Dujardin

 

Soyons franc : j’avais plutôt bien aimé 99 francs, le roman de Frédéric Begbeider. Je sais que le succès est toujours un crime en France et qu’il est de bon ton de taper aujourd’hui sur Begbeider (comme sur Anna Gavalda ou Muriel Barbery qui ont pourtant écrit des choses pas désagréables) mais j’ai le souvenir d’avoir découvert un roman malin, assez drôle et tentant quelque chose d’un point de vue narratif. Bien sûr, l’auteur a quelque chose de très agaçant dans ses poses branchées de trublion médiatique du juste milieu et sa critique du monde de la publicité ne va sans doute pas très loin (pour le dire en d’autres termes, Begbeider n’est pas Baudrillard comme Barbery et Gavalda ne sont pas Balzac et Stendhal !) ; mais bon ! 99 francs, le livre, ne m’avait pas déplu. 

99 francs, le film, c’est autre chose. Soyons une fois de plus honnête : j’avais des préjugés négatifs dans la mesure où c’est Jan Kounen qui le réalisait. Dois-je rappeler que ce monsieur est à l’origine d’un des pires films (Dobermann) que j’aie vu de toute mon existence, les autres étant Mad Max 3 de Georges Miller et Chantages de femmes de Michel Ricaud ? Et puisque l’honnêteté sera le maître mot de ce soir, reconnaissons aussi au cinéaste une volonté louable de ne pas adapter platement le best-seller de Begbeider et de tenter, sur la voie de son précédent long-métrage de fiction (le très raté Blueberry), de réaliser une espèce de trip hallucinogène autour de son personnage principal, publicitaire aux dents longues et au train de vie débridé (sexe, drogue, alcool…)

Le problème est, comme toujours, celui de la forme. Alors qu’il est censé être une critique cinglante et mordante de la publicité, 99 francs en revêt tous les atours. Nous voilà donc plongé dans un malstrom d’images léchées et montées de façon à ne procurer aux spectateurs qu’un maximum de stimuli visuels. Le montage est haché à l’extrême et Kounen s’amuse de tous les effets spéciaux bidons : incrustations, bullet time à la Matrix, filtres, déformations…Nous sommes au cœur d’une esthétique publicitaire que le réalisateur semble conchier et qui annihile tout discours critique. L’indignation hypocrite du dernier plan où sont comparées les sommes dépensées dans la pub et celles nécessaires à faire reculer la faim dans le monde tombe totalement à plat dans la mesure où le film n’a fait qu’afficher l’apparat luxueux (esthétique clinquante, débauche d’effets coûteux, exhibitions de marchandises luxueuses, star « à la mode »…) qu’il semble rejeter. Tout cela revient à pleurnicher sur la fin dans le monde chez Fauchon !

Totalement obnubilé par sa volonté d’en mettre « plein la vue », Jan Kounen oublie de « sortir » de son esthétique pour nous proposer un véritable point de vue sur ce qu’il est en train de filmer. La double fin, qui n’existait pas dans le roman, est, de ce point de vue, symptomatique de cette volonté d’être à la fois dans quelque chose d’incroyablement « branché » et, en même temps, d’éviter tout ce qui pourrait être trop noir, trop violent…On en reste alors à l’indignation de principe (« la pub, c’est mal  : vous m’en direz tant, ma pauvre dame ! ») mais l’on ne crache pas dans la soupe lorsqu’il s’agit d’accepter les subsides de chaînes privées qui n’aimeront sans doute pas qu’on boude leur principale manne financière…

Alors que 99 francs aurait pu être un intéressant délire sous ecstasy (pour faire un autre clin d’œil à Begbeider) à la Terry Gilliam (on est loin de Las Vegas parano, qui par ailleurs n’est pas le meilleur film de l’ancien Monty Python), il finit par n’être qu’un exemple caractéristique de ce « spectacle de la critique » et de ses indignations bien tempérées (je doute que les agences publicitaires aient frémi un seul instant à l’annonce de la sortie de ce film).

Par ailleurs, Jean Dujardin nous sert une pénible et insipide imitation de Beigbeder (après tout, même si Octave s’inspire visiblement de la vie antérieure de l’écrivain, ce n’est pas forcément lui qui est au cœur du roman) qui achève de rendre inexistant le personnage principal du film (c’est particulièrement flagrant lorsque Kounen filme l’histoire d’amour qui fera tout basculer et qui est d’une fadeur à nulle autre égale, le recyclage de la musique d’In the mood for love tendant même ici au blasphème !)

Au final, et malgré le passage à l’euro, on peut estimer que le titre du film de Kounen est très cher payé pour un produit ne valant pas un sou…

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