Une femme coréenne (2003) d’Im Sang-Soo

 

 

Il est de bon ton, pour briller à peu de frais dans les cocktails mondains, de s’esbaudir de la vitalité du cinéma coréen. Si la conversation dérive sur ce sujet, n’hésitez pas à louer au passage leur système de quotas ayant permis l’émergence d’une véritable cinématographie nationale en endiguant le flux alvin des productions américaines…Je me gausse mais je reconnais que ce snobisme risible qui consiste à ne jurer soudain que par un seul pays à un moment donné a le mérite de nous permettre de découvrir une quantité non-négligeable d’œuvres passionnantes. Le Corée ne fut, ces dernières années, pas avare de ces belles réussites en tout genre, que ce soit dans le domaine du fantastique (Deux sœurs), de la chronique intimiste crue (Lies) ou de la fresque historique (Peppermint candy). Mais il faut quand même faire la part des choses et ne pas confondre le classicisme virtuose d’Im Kwon-Taek avec de l’académisme ou l’esbroufe tapageuse de Park Chan-Wook avec la modernité cinématographique. De la même manière, il faut savoir faire le tri entre les pépites (le cinéma de Hong Sang-Soo) et les rogatons (la plupart des films de Kim Ki-Duk).

 

 

D’Im Sang-Soo, on a pu découvrir sur nos écrans le joli Girl’s night out, attachant portrait pointilliste de quatre adolescentes coréennes aujourd’hui. Une femme coréenne reprend à son compte cette approche « pointilliste », à savoir que le cinéaste se contente d’accumuler des séquences avec différents personnages qu’on n’identifie d’abord pas. Au fur et à mesure qu’avance cette narration heurtée, on se familiarise avec ces individus et on s’aperçoit que commence à apparaître une trame. Pour faire simple, tandis que le mari, brillant avocat à la cour, s’envoie en l’air avec une photographe ; madame séduit un adolescent voyeur et le dépucèle. Autour de se quatuor se greffent d’autres personnages : les parents de l’avocat (alors que le père s’apprête à mourir, la mère redécouvre l’amour) et  son fils adoptif pour se limiter aux principaux.

Ces quelques lignes ne rendent absolument pas compte de la tonalité de ce beau film qui se fiche éperdument d’un scénario bête comme chou et qui préfère vagabonder sur les traces de ses personnages que le cinéaste utilise comme des instruments de musique. Ce sont eux qui créent le mouvement du film et lui impulsent son élan vital, sa propre forme. Rares sont les films qui donnent cette impression de s’inventer à mesure qu’ils progressent. Une femme coréenne est de ceux-là et finit, par un subtil jeu sur le contrepoint, par trouver son propre ordonnancement, par donner l’impression d’un jeu de miroir où les scènes chaotiques du début trouvent leurs contrechamps à la fin. Un exemple pour être plus clair (ce n’est pas sûr !) : alors qu’il est au lit avec sa mystérieuse photographe, l’avocat est dérangé par de violents coups à la porte (certainement un amant de la belle). Il propose d’aller s’expliquer avec l’inopportun en allant lui ouvrir. Cut. Sur la fin, notre homme qui a vécu de dures épreuves que je ne révèlerai en aucun cas, se retrouve devant la porte de la photographe à tambouriner pour qu’elle lui ouvre. Le point de vue a basculé et c’est un amant en slip qui vient lui ouvrir pour s’expliquer sur sa conduite.

Ce jeu de miroir s’applique à beaucoup d’éléments du film qui joue beaucoup sur les oppositions (mort/ naissance ; la routine du couple et le frisson de l’adultère…) mais n’est jamais systématique ni artificiel car le cinéaste est toujours avec ses personnages et ne cherche pas à surdéterminer leur trajectoire. D’où cette manière qu’ils ont d’évoluer dans le temps, d’offrir à nos yeux une nouvelle facette à mesure qu’Im Sang-Soo leur offre une scène.

Sa plus grande réussite, c’est de se situer toujours à la bonne distance de ses personnages. Eloigné lorsque survient un événement tragique ou violent (l’adolescent brisant une glace en lui donnant un coup de poing et s’explosant la main par la même occasion, scène montrée dans la profondeur de champ) et suffisamment proche pour explorer les arcanes du désir et du plaisir.

 

 

Car une femme coréenne parle aussi (de manière assez crue mais jamais vulgaire ni racoleuse) de sexe et de plaisir. Une fois de plus, les asiatiques prouvent leur suprématie lorsqu’il s’agit d’aborder ce sujet et le film traite, par petites touches, de mille choses dont la portée reste universelle (l’essoufflement du désir dans le couple, le plaisir féminin, le rapport problématique au corps –une femme peut-elle perdre son point G avec le temps ?-, l’amour passé un certain âge – avec ce personnage somme toute assez secondaire de la belle-mère, Im Sang-Soo se montre incommensurablement plus audacieux que les frères Larrieu et leur dernière petite crotte bourgeoise !…). C’est toujours très bien vu et les scènes d’amour sont admirablement filmées (je parlais d’instruments de musique : les corps en sont partie intégrante et Im Sang-Soo sait les mettre en scène. Cf. La scène magnifique où l’héroïne entame nue une partie de danse dans son appartement plongé dans l’obscurité).

 

 

Voilà donc un film riche et surtout un film complètement libre, dont les émotions fluctuent au gré du temps si bien qu’on ne sait plus trop s’il faut parler d’un drame guilleret ou d’une comédie tragique.

Une très belle découverte…

 

 

Retour à l'accueil